LE DOSSIER VALMY (Thriller) : chapitre 21

L’automne 2006 aura été épuisant. Entre les obligations du contrat allemand et les réponses à préparer dans les différents procès, je n’ai pas soufflé une minute. Je me lève toujours à 5h00 du matin et je rentre toujours plus tard. Sitôt arrivé, je m’enfile quelques verres de vin pour décompresser et je m’écroule dans le canapé. Julie a pris l’habitude de dormir seule.

Paradoxalement, c’est aussi la première fois que je me verse des salaires corrects. Alors, avec la conscience du devoir accompli, je vais me réfugier derrière cet aspect matériel. Et d’ailleurs, elle ne dit rien. Elle continue à gérer la petite famille au cordeau. Elle veille même à ce que j’ai toujours de quoi boire.

Sur le plan des procédures, tout semble fonctionner. Le Tribunal de Commerce nous a donné raison. Ils ont fait appel mais cela ne nous inquiète pas. L’avocat de Montréal a finalisé notre réponse pour le volet canadien. Et nous attendons le 23 décembre pour le transmettre à nos adversaires. Ils m’ont gâché les grandes vacances, moi ce sera Noël que je vais leur pourrir. Convaincu que mes arguments sont tels qu’ils vont lâcher l’affaire et négocier. Denis en est également convaincu.

En décembre, nous avons organisé une assemblée générale à Luxembourg pour purger le courrier de Kojak. Il est actionnaire et donc convoqué. Jeannot est de la partie. Mon avocat luxembourgeois qui me suit depuis toujours aussi. Nous avons toutes les procurations en main. Kojak arrive avec une béquille. Le pauvre s’est blessé. Derrière lui, son baveux. Un jeune stagiaire non aguerri. J’ai appris qu’il a été licencié de sa boîte depuis peu avec perte et fracas. Il a perdu de sa superbe. Cette réunion n’a aucun intérêt sauf psychologique. L’objectif est de leur en mettre plein la vue et nous allons nous en donner à coeur joie.

D’entrée de jeu, il faut désigner un secrétaire. Son jeune avocat se propose pour être certain que le compte-rendu sera honnête. Il va tellement écrire ce jour là, sous ma dictée, sous la pression des remarques assassines de mon avocat qu’il n’aura plus le temps de défendre son client. Il va subir une humiliation en règle. Une bonne leçon qui je l’espère lui servira toute sa vie.

En ma qualité de dirigeant, je commence par un compte-rendu opérationnel. J’insiste sur la pérennité de l’entreprise et sur notre capacité à gérer les conflits en cours. Mon avocat qui officiellement représente les autres actionnaires fait acter qu’il est ravi pour ses clients de ses bonnes nouvelles. Nous nous en donnons à coeur joie. Son confrère n’a pas le temps de répondre, il doit prendre en note. Il sue. Kojak ne dit rien. Il ressemble à un gland. Il encaisse toutes mes déclarations et est obligé d’avouer qu’il est content de ces bonnes nouvelles. Nous savourons cet aveu qui lui a nécessairement coûté.

Cette réunion «massacre» se poursuit pendant des heures et soudain mon avocat lance le premier missile en s’adressant à Kojak qui va tomber dans le piège qui se referme sur lui :

• cher Monsieur, vous avez écrit au commissaire aux comptes qu’il y aurait une escroquerie à la TVA... Mes clients (Julie et Denis) sont très inquiets et m’ont donné mandat pour faire la lumière sur ce point. Vous comprenez que c’est très grave.

• Oui oui je comprends. Enfin dès que j’aurai les bilans, je le prouverai...

L’avocat savoure cette énième connerie de Kojak. Et l’enfonce un peu plus:

• les bilans sont publiés et mes clients n’ont rien vu à redire. Quels sont les éléments concrets que vous avez pour tenir de tels propos qui sont d’une gravité extrême?

Kojak est sonné. Son baveux est en retard dans la sténo. Il bégaye :

• mais mais, je vous assure que c’est vrai et que dès que j’aurai les bilans, je le prouverai.

Nous jubilons. L’avocat luxembourgeois lui en remet une bonne couche avant le coup de grâce:

• je veux savoir précisément les éléments que vous détenez. Car soyons clairs, mes clients m’ont donné mandat d’agir. si Monsieur Le Roy a magouillé, j’introduis immédiatement les poursuites contre lui, et de l’autre côté si vous affabulez, je vais appliquer le même mandat contre vous. Alors?

Kojak ne comprend plus rien. Il est dépassé par la situation. Son avocat est totalement accaparé par la saisie de notes et oblige à une répétition des propos au lieu d’intervenir. Le comptable débarque. Il connait bien la situation. Il confirme que tout va bien et que l’entreprise est bien gérée. Il renouvelle sa confiance. Mon avocat profite de la situation pour achever Kojak:

• cher Monsieur, j’ai le sentiment que vos allégations sont fantaisistes. Pour ne pas dire plus. Je vous avais prévenu, j’ai reçu un mandat très précis. Et je souhaite faire inscrire une résolution.

L’avocat de Kojak a senti le missile arriver. Il a beau avoir du mal à suivre, là, il relève la tête et s’interpose :

• on ne peut pas changer l’ordre du jour.

Mon avocat le toise avec une saloperie sans égale :

• cher confrère, nous pouvons modifier l’ordre du jour si 75% des actionnaires sont d’accord. Nous allons donc étudier ce point.

Jeannot et moi plongeons dans nos sacs à la recherche de nos actions. Nous prenons notre temps. Mon avocat a déjà les titres de Julie et Denis sur la table.

Au total, 89%. L’avocat de Kojak est obligé d’admettre qu’il l’a dans le cul et doit reprendre en note la suite. L’humiliation est totale et ils n’ont pas fini de déguster. Mon avocat poursuit :

• j’aimerai que l’on soumette aux votes la résolution suivante : autoriser la société à assigner votre client pour propos mensongers et calomnieux alors qu’il était administrateur et demander à Justice les dommages et intérêts correspondants.

Kojak encaisse. Jeannot lâche à la dérobée:

• je crois que je vais voter oui...

Mon avocat continue pour l’achever:

• confère, votre client vote quoi?

• Mon client vote contre bien sûr.

• Alors veuillez inscrire qu’à la majorité qualifiée des deux tiers les actionnaires ont décidé de poursuivre votre client en Justice.

Kojak a eu son petit cadeau de noël comme les autres. Il est 19h00 et j’ai rendez-vous chez Archibald pour une partie de chasse. Je décide d’ajourner la réunion. J’en fais la demande en la motivant. Mon avocat enchaîne :

• Mais bien sûr Mr Le Roy, et merci pour votre compte-rendu. Je vais pouvoir rassurer mes clients.

Dans son coin Kojak ne moufte plus. Son baveux intervient dans un ultime espoir de reprendre la main :

• et si nous ne sommes pas d’accord?

Il voit mes titres sur la table. Ceux de Jeannot. Il a compris. Il va encore en prendre une. Et je me lève en donnant tout pouvoir à Jeannot pour signer le procès verbal, je salue tout le monde sauf Kojak. Et je suis parti en Allemagne.

Avec en arrière plan, la renégociation du contrat. Moi aussi, j’ai bien le droit à mon petit cadeau de Noël.