LE DOSSIER VALMY (Thriller) : chapitre 10

Je continue donc mon histoire. Je suis bien rentré de Pologne et la réunion de la dernière chance est programmée pour le 26 avril 2006 sous l’impulsion de Kojak. Elle doit se dérouler à Paris, dans un hôtel où une salle de réunion a été réservée. Il doit y avoir les chimistes, Kojak et moi.

Denis est en Afrique pour une conférence. Mais nous savons lui et moi que le choix de la date a été finement mise au point pour éviter sa présence. Qu’à cela ne tienne. Il ne faut pas fuir le débat, il faut les faire parler et comprendre. Nous sommes convenus que je le tiendrai informé à distance.

Il me faut un témoin aussi. Des associés qui restent fidèles et qui me soutiennent, il ne reste que Jeannot. 70 ans, à la retraite, Jeannot c’est tout sauf un extraverti. Je le sais, il ne me sera d’aucune aide mais je veux un témoin. Nous en avons discuté. La stratégie est méticuleusement préparée. On accepte toutes les doléances et on les laisse parler. Jeannot n’est pas prévu à la réunion. Personne ne l’a invité. Nous allons jouer l’effet de surprise.

La réunion commence donc sans lui. Au départ, il n’y a que l’un des chimistes et Kojak. Le décor est planté d’entrée de jeu. La haine est palpable. Je laisse dire, allant même jusqu’à admettre ma responsabilité sur tel ou tel point. Feignant même avec la mine basse de m’excuser. Et comme prévu, au bout d’un quart d’heure, mon Jeannot débarque. Surprise générale. Kojak ne prend même pas de recul:

• qu’est-ce que tu fous là?

Jeannot, fidèle à lui même ne dit rien. Il s’assied et sort un bloc notes. Le chimiste littéralement hystérique braille :

• encore une manipulation à la Vincent mais cette fois tu ne vas plus nous baiser!

Jeannot reste imperturbable et dit à Kojak :

• écoute, j’ai deux fois plus d’actions que toi dans cette boite, et je suis administrateur comme toi. Alors je veux comprendre. Je suis venu vous écouter.

Kojak marque le coup et tente un coup de bluffe.

• casse toi où je te fous dehors!

Le chimiste s’est levé, prêt à en découdre physiquement. La tension est à son comble. Et bien entendu, il m’interpelle :

• espèce d’enculé, tu as encore tout manigancé... tu le savais qu’il allait débarquer!

Je feins l’ignorance et je ne relève même pas les propos de mon salarié. Il parle tout de même au fondateur et à l’actionnaire majoritaire qui est aussi son supérieur hiérarchique. Mais nous avons une ligne de conduite, les laisser parler. Alors on écrase.

Je jure mes grands dieux que j’ignorai que Jeannot allait débarquer. J’admets tout juste lui avoir transmis les mails puisqu’il est administrateur. Jeannot confirme. Finalement, Kojak reprend la main. La réunion n’a qu’un seul but et il ne veut pas s’en écarter. Il décrète un compromis:

• bon bah Jean, t’as qu’à rester. Tu pourras juger par toi même et puis tant qu’à être là, aide nous plutôt... Pour une fois prouve que t’es un homme!

Et la réunion reprend son cours. Un matraquage en règle devrais-je dire. 4 heures d’insultes, de vocifération et d’humiliation. J’admets. Je n’ai de cesse d’admettre. Rien ne va et j’avoue constamment que c’est de ma faute. Par moments, je sors quelques arguments pour les mettre face à leurs contradictions mais ils les balayent en tandem.

Vers 20h00, ils sont épuisés d’avoir craché autant de haine et d’imbécilités en tout genre. Mais ils ont fini de sortir toute leur bile. Jusque là, l’entreprise de démolition se poursuit mais je ne sais toujours pas qui tire les ficelles et ce que l’on attend de moi. J’ai envie de fumer et Kojak aussi. Il s’allumerait bien un bon cigare. Je propose une pause. Et tout le monde se dirige vers le bar. Je commande des bières et nous nous installons dans les fauteuils.

L’hystérie n’a pas abandonné le chimiste. Il parle fort, à telle enseigne que Kojak est obligé de lui demander de parler moins fort. A se demander si il n’a pas pris de la coke… Jusque là, j’en ai pris plein la gueule. Je suis responsable de tout. Rien ne va. Mais nous ne savons toujours pas ce qui est prévu pour changer tout cela. Je lance le débat :

• on fait quoi alors?

Et voilà, la bière aidant, les langues vont se délier. Le chimiste commence :

• il faut changer le conseil d’administration.

Kojak confirme. Ils attendent ma réponse qui ne se fait pas attendre. Je suis d’accord. Il suffit de remplacer certains administrateurs par les chimistes. En bon stratège, je leur confie même que c’est une bonne chose et que tout le monde sera plus impliqué. Je suis même d’accord pour m’effacer de la direction du groupe. Kojak est ravi et me dit:

• non mais pour les machines, tu as un certain talent. On aura encore besoin de toi.

Il ne manque pas de culot ce con après ce qu’ils m’ont fait subir en Pologne mais je ne réagis pas à cette énième vexation. Je sens que nous ne sommes plus très loin de la vérité et c’est ce qui m’importe. Ce d’autant que le chimiste remet le couvert à tue tête un peu bêtement:

• il faut changer le conseil d’administration.

Sa rengaine me pousse à le questionner un peu plus, de façon mielleuse:

• tu parles des administrateurs ou des actions?

• Bah des actions! Les actions, c’est le vrai pouvoir!

Voilà tout est dit! Je regarde Kojak. Je feins d’être sonné et je lui demande comment il voit les choses parce que j’ai tout de même 80% des actions et que la boite vaut beaucoup d’argent. Redistribuer les actions ne sera pas aussi simple même si je n’y suis pas opposé. Kojak ne se démonte pas et crache la valda:

• c’est assez simple. Alex prendrait 30 à 40% du capital, les chimistes 20 chacun et moi, en raison des services rendus, je passerai de 9 à 20%.

En clair, Jeannot et moi qui avons 91% de la boîte dégageons... Je continue à jouer au con en demandant comment il compte procéder. La réponse ne tarde pas.

• la boîte ne vaut plus rien. On te rachète tes actions pour un euro. Et Alex remettra du fric sur la table.

Bah voyons... J’ai enfin la réponse à ma question. C’est donc Alex qui tire les ficelles. Il a les salariés dans la poche et son complice Kojak pour veiller au grain. Tout est maintenant très clair. J’ai entendu ce que je voulais entendre. Il est temps de tirer ma révérence et de mettre fin à cette extorsion de fonds en bande organisée.

Kojak et moi avons envie de pisser et nous nous dirigeons vers le chiotte. Là, chacun la bite à la main, nous continuons la discussion. Je lui demande 48 heures de réflexion ne serait-ce que pour convaincre Julie de la nouvelle réorganisation. J’ai beau avoir 80% du capital, c’est elle qui a mis le fric dans la boite au départ.

Et toujours la bite à la main, face au gogue, pleinement satisfait de cette réunion, il me dit :

• explique lui qu’il vaut mieux un euro maintenant que rien demain. De toutes manières, si tu n’es pas d’accord, on continue et on explose ta boite.

De retour au bar, le chimiste a le sourire. Leur projet est en bonne voie. Ils sont certains que j’ai capitulé. Je les salue et quitte l'hôtel. Jeannot m’emboite le pas. Il est 22h30 et maintenant je sais. Il n’est bien entendu pas question de plier. J’ai le droit pour moi et je vais remettre tout ça en ordre. Je suis convaincu que ce n’est qu’un mauvais passage. J’ignore que le rouleau compresseur a démarré et qu’ils vont aller jusqu’au bout... car ils s’attendaient à ce que je les ai couillonné ce soir là. Depuis des mois, deux avocats travaillent à temps plein pour monter 17 procès tous azimuts au cas où je n’ai pas compris la leçon N°1. Mais ça, je vais le découvrir en live et ce soir là, je suis encore inconscient. J’ignore que la descente aux enfers ne fait que commencer. Je pousse avec Jeannot la porte d’une brasserie. Blanquette au programme. Et une bouteille chacun.