LE DOSSIER VALMY (Thriller) : chapitre 12

Le 27 avril, lendemain du putch, je l’ai donc appelé. J’ai fait bref, clair et précis.

• Patrick si je t’appelle, c’est que j’ai le sentiment que tu t’es fait mettre et que maintenant, c’est mon tour.

Mon aveu fonctionne. Et j’enchaîne :

• écoute Patrick, je vais être franc, la formulation je maîtrise, les machines aussi. Il me faut de la résine et maîtriser cet aspect. J’ai besoin de toi et t’es le seul. T’as le droit de m’envoyer chier.

Il n’est pas surpris. Il m’avoue même qu’il attendait mon appel. Je lui propose de déjeuner ensemble le lendemain. Nous sommes d’accord. Déjeuner à bâtons rompus le 28 avril. Nous sommes le vendredi. J’ai fini de récupérer des avocats tous les actes nécessaires pour dégager Kojak, les courriers à adresser à Alex, la façon de mettre à pied les chimistes. Tout est prêt pour reprendre en main mon entreprise.

J’explique à Patrick ce que j’attends de lui. Sans ambiguité. Son rôle. Sa mission. Et comme il a une revanche à prendre et qu’il n’a pas atteint son nombre de trimestres pour se la couler douce en retraite, le deal lui convient!

J’en fais un compte-rendu à Denis qui m’avoue :

• tes chimistes, ils étaient au taquet. Mais tu as les compétences et maintenant, avec le polonais et Patrick, vous allez régler les problèmes...

Samedi matin, j’imprime tous les documents que m’ont envoyés les avocats. Et je diffuse. Le premier mai est un lundi et je vais à Amiens accrocher une note de services.

Tout est dit. Mathieu et Alex n’ont plus accès aux locaux. Les chimistes doivent consigner par écrit leurs travaux, cesser toute communication avec Alex et désormais toute demande passe par la secrétaire pour m’être soumis. La guerre est déclarée. Le seul patron chez Valmy, c’est moi.

Kojak reçoit également son missile. Il est débarqué. Et le conseil d’administration est sans équivoque: nous allons rechercher sa responsabilité. J’ai repris le contrôle de mon entreprise. Ce que je me refuse de comprendre, c’est que le rouleau compresseur est déjà en route et que je vais le prendre dans la gueule tel un tsunami.

David contre Goliath, c’est une fable. C’est la mienne, je suis le David des temps modernes, et la guerre est inégale. Et tout pétri de justice, je suis convaincu qu’elle est là pour me protéger et me donner raison. Tu as beau être vertueux, la justice, il y a longtemps qu’elle bosse pour Goliath. Il faudra le dossier VALMY pour m’en convaincre.

Le 2 mai, Kojak m’appelle. Il sait. Son avocat l’a informé du missile. Les chimistes l’ont probablement prévenu des nouvelles règles qui sont affichées dans le laboratoire. Il n’est même pas énervé. Il a l’air serein. Il me dit posément :

• je n’ai jamais vu un mec aussi con et têtu que toi. C’est ton choix. Tu connais la suite à venir?

Et il raccroche sans autre forme de politesse. La secrétaire d’Amiens me fait un compte rendu en messagerie privée. Les deux chimistes sont hors d’eux. Mathieu est sur place également. Tout le monde braille et s’agite. Ils photocopient des dossiers aussi.

A première vue, cette réaction me parait normale. Ils s’étaient mis dans l’idée qu’après trois mois de guerre psychologique, j’allais céder. De ce point de vue, ils m’ont sous estimé.

Moi aussi, j’ai sous estimé les mutins. J’ignore que la semaine d’avant ils ont déjà détourné les marques commerciales, les sites internet et saisi les prud’hommes. J’ignore aussi que la plus haute brigade fiscale a reçu un épais dossier sur mes soit disant magouilles et que je vais avoir droit à un traitement particulièrement musclé. J’ignore encore que des avocats travaillent depuis des semaines à préparer le rouleau judiciaire tous azimuths. Le 2 mai, je suis loin de me douter qu’il y aura 17 procès à subir, certaines au Québec, d’autres en France ou encore au Luxembourg. Que dans certains cas, ils paieront plus cher mes avocats pour m’anéantir.

Le vrai problème avec Alex, c’est que sa bonhommie et son âge font qu’on l’écoute. Son pouvoir financier est tel que les avocats sont inventifs. Très inventifs. Alors que moi je rape. Je suis jeune et insolent. Ma seule chance va résider dans son manque de professionnalisme et ma capacité de travail.

Pour autant, on n’est jamais préparé à cela. On ne peut pas l’envisager. Dans l’adversité, on maintient le cap avec un moteur. Chacun a le sien. Moi, j’en ai deux. Le premier, j’ai horreur d’avoir tort. Le deuxième est plus pragmatique. Je ne suis pas seulement actionnaire et administrateur, je suis aussi caution personnelle des banques. Si la boite coule, je leur dois 300,000 euros. Et d’ailleurs, je me dis que j’aurai mieux fait de les rembourser avec le million d’Alex en 2004 que de dépenser de l’argent dans les deux chimistes... Mais on ne se refait pas. J’y croyais et j’ai tout misé sur le développement de ma boite...

L’analyse du futur est assez simple. Je peux oublier les banques d’investissement. Je ne le sais que trop bien, avec un conflit salarial, des actionnaires en désaccord, un contrat canadien qui part en sucette, la boite ne vaut plus rien pour un financier. Putain, à trois mois près, je suis passé à côté de 10 millions d’euros. C’est d’ailleurs ça l’enjeu. Ils espéraient tous faire la plus value à ma place. Et je sais trop bien comment Alex s’y est pris avec les chimistes. Il les a pris par les sentiments et progressivement les a attiré par l’appât du gain. Et pour eux, c’est une aubaine car ils sont en butée technique ce qu’Alex n’a pas compris alors que de l’autre côté le jeune ne fait que brailler. Il était temps pour eux de changer de cheval. Et d’essayer de ramasser de la fraîche rapidement.

Bref, les banques on oublie. Ou alors il va falloir la jouer finaude en faisant profil bas au début. Non, il ne reste qu’une solution, mener à terme les contrats en cours. Profiter de CPCU, finaliser le développement pour d’autres clients et vendre, encore vendre...

La priorité pour l’heure c’est donc de fabriquer les matières premières et de les envoyer chez le polonais pour facturer CPCU.