LE DOSSIER VALMY (Thriller) : chapitre 9

Leur avocat aussi s’intéresse à la campagne polonaise. Les questions pleuvent. J’essaye de me souvenir de chaque détail. L’ordinateur face à moi, je justifie mes réponses à coup d’e-mails. Il ne manque pas d’en demander une copie à chaque fois. Et j’imprime donc.

Je n’ai aucun mal à démontrer que la production a fonctionné et que les mousses étaient techniquement parfaites. Et d’ajouter à chaque fois qu’Alex pouvait donc le faire aussi puisque c’est la même machine et les mêmes produits. Je passe sur le côté psychologique de l’épisode polonais. Il n’a pas besoin de tout savoir. Et pourtant il y a à dire et raconter…

Fin mars 2006, j’arrive donc en Pologne. Le « polonais » est venu me chercher. C’est un français, docteur en chimie qui a longtemps travaillé dans notre domaine. On le connait bien. Il a été pendant 15 ans le directeur technique d’une boite française que l’on pourrait qualifier de concurrente. Depuis 5 ans, il s’est marié à une jeune polonaise et vit de ses indemnités de départ.

Ses économies ont presque fini de fondre et il cherche une activité. Cela tombe bien, je cherche un partenaire compétent qui fabrique à pas cher. La synergie était évidente mais il faut tout mettre en place. VALMY finance tout.

Il a loué un grand local. Dans un coin, sous cellophane industriel, il y a la machine qui est arrivée de France la veille. Les chimistes s’en sont servis le mois dernier pour affiner la formule que je dois mettre en oeuvre. En clair, je n’ai qu’à la raccorder, brancher quelques tuyaux, remplir les cuves et programmer le mélange qui doit couler dans le grand moule.

Le moule est là aussi. 2 mètres de long sur 1 mètre de large, il s’agit d’un mini container qui s’ouvre sur les côtés pour sortir le bloc de mousse. Les résines et les acides sont dans un coin. Les mélangeurs devant. Allez hop au boulot! La machine est vite raccordée. Je la connais par coeur depuis 4 ans. Et elle en a vu du pays! Je la mets sous tension. Les cuves sont censées être vide, avec un petit fond de glycol. C’est la procédure. Je n’ai qu’à vider les 15 litres de glycol et charger la résine ensuite. J’appuie sur le bouton d’agitation des cuves.

Bloom, le disjoncteur saute. Je regarde mon partenaire un peu surpris.

• tu es sûr qu’il y a assez de puissance?
• ah oui! t’as deux fois ce que tu m’as demandé...

Je réenclenche et j’appuie à nouveau sur le bouton d’agitation. Et rebloom. Ah là, ce n’est pas normal. Je me dis qu’un clapet a peut être collé et qu’un bon coup de marteau va régler le problème. Je grimpe sur la cuve et je l’ouvre... La cuve est pleine! Mais pleine de résine. Les salopards, ils n’ont pas rincé la cuve. La résine est devenue solide et tout est bloqué. Je comprends que tous les tuyaux et toutes les pompes sont prises en masse...

Je réalise à cet instant que je ne suis pas prêt de repartir. Il va falloir démonter intégralement la machine, enlever la résine presque solide, tout nettoyer à l’acétone et la soude concentrée. Au burin et au marteau aussi. Il me faut des outils. Des pinces. Et bien sûr, il n’y a rien dans l’entrepôt du polonais. Ce n’était pas prévu de faire de la mécanique! J’appelle Kojak pour l’informer de la situation. A l’autre bout du fil, il coupe court à la discussion :

• comme d’habitude, Vincent, Comme d’habitude, c’est la faute des autres... Démerde toi.

Mais enfin bordel, ils le savent qu’il faut rincer la machine après chaque usage. Ils touchent 6000 net par mois, ça va bien! A ce prix là, on est pro. Je n’ai toujours pas compris que c’est un sabotage volontaire et que la guerre a commencé. J’appelle Denis également. Il est aussi scandalisé que moi. Il me demande d’évaluer la situation. Oui, c’est rattrapable mais c’est au moins quinze jours de boulot et sans garantie. Je n’ai rien sous la main. Il faut que j’achète tout puis à quatre pattes par 4 degrés nettoyer et nettoyer encore.

Denis a surtout décidé de m’épargner. C’est un peu plus tard qu’il me racontera ce qui se passe en France et que j’ignore. Et alors que je commence à démonter cette putain de machine, au milieu des vapeurs d’acétone, Amiens est en état de siège. Les chimistes se sont foutus en grève. Ils ne veulent plus bosser. Ils ont même rencontré Alex et Mathieu en catimini. Denis et Kojak ont débarqué en urgence au laboratoire. 4 heures de réunion où tout y passe. Et bien entendu, le responsable de tout, c’est moi. Sauf pour Denis, qui écoute médusé.

Au cours de cette réunion que j’ignore, Denis va apprendre que Kojak a rencontré CPCU. Il leur a indiqué que les produits n’étaient pas prêts et qu’il fallait reporter les commandes. Kojak annule Bruxelles également. Et il veut savoir où sont les subventions... Il a demandé une enquête fiscale car il me soupçonne de pratiquer une escroquerie à la TVA.

Dans le froid et à 4 pattes, loin du champ de bataille, je commence à comprendre qu’ils sont en train de foutre la boite en l’air. Ma seule chance de m’en sortir, c’est de fabriquer et livrer CPCU. Faire rentrer des sous coûte que coûte. Sans trésorerie, je suis mort. Et trouver à qui profite le crime. Qui tire les ficelles? Et pourquoi?

Je ne vais plus tarder à le savoir mais pour l’heure, je suis en Pologne à nettoyer la machine et petit à petit, je la remets en marche. 20 heures par jour, avec la rage au ventre, je nettoie, je gratte. Les journées s’enchaînent. Levé 5h00. Je bosse sans gants car je n’ai pas le temps. 20h00 on arrête et je vide une à deux bouteilles de rouge. Au bout de quinze jours, le premier bloc de mousse est coulé! Tout est en ordre de marche, j’ai récupéré ce qui était censé être irrécupérable. si on m’avait dit un jour que je ferai de la mécanique à ce point, je crois que j’aurai ri. Et bien je l’ai fait. Les mains rouges des brûlures de soude en prime.

Fier du devoir accompli, je rentre à Paris où tout le monde m’attend pour une réunion au sommet. La réunion de la dernière chance selon Kojak. J’ai bien vu passer cet e-mail d’un des chimistes et qui dit:

"nous avons pris bonne note de l’ordre du jour: remise à plat de l’organisation et pointage mensuel des évolutions."

C’est fini de jouer. J’ai pris ma décision. Même si j’ai la haine et la rage au ventre, je vais jouer au con une dernière fois et les laisser brailler. Ce que je veux savoir, c’est qui est derrière tout ça... et ce que l’on va tenter de me faire avaler.

Fini de jouer! Et c’est aussi le cas de l’avocat d’Alex qui rend son tablier. Dès le vendredi soir en fait. Dans l’après midi, je lui ai tendu le document master de l’utilisation de la machine et de la production de blocs en français et en anglais. Car en même temps que je nettoie, je consigne tout et j’ai rédigé le manuel. Bien sûr, je l’ai adressé à son client avec pour accompagnement : « A ton tour ». Et je lui tends la réponse d’Alex laconique : « « Merci bien reçu ». La technologie existe malgré le sabotage et je l’ai bien transféré dans les temps tout en fabriquant pour mes clients.

Là, l’avocat a compris. Il a compris qu’il ne me ferait rien avouer pas plus qu’il n’arriverait à me piéger. Il a compris aussi que tout ce qu’il a écrit pour préparer le procès est un tissu de mensonges et que nous n’aurons aucun mal à gagner ce procès. Il a enfin compris que son client n’est pas que con au premier sens du terme, mais très con.

Il nous indique qu’il y aura encore quelques questions lundi mais que ce sera fini pour le déjeuner. Il a surtout besoin de temps pour trouver un truc. Bon courage mon pote. Et puis maintenant, c’est trop tard, même si tu ne veux pas l’entendre l’histoire, je vais te la raconter quand même. Parce que la guerre mérite à elle seule un livre entier tellement elle est improbable…