Nous sommes de la boue qui marche #12

in #life6 years ago

Episode 12 - Robert s'en sortira-t-il?

Résumé:
Les lettres de mon grand-père échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père.
La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance de 1914 associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.

Image du Blog adelette.centerblog.net

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Dans cet épisode je n'ajoute aucune photo, volontairement, car l'histoire se suffit à elle-même.

12 mars 1916 - Lettre du Lieutenant Colonel BOURDIEUX au père de Robert

Mon cher P.
Je vous envoie copies de tous les renseignements certains que j'ai pu recueillir sur votre fils.
De leur lecture je crois pouvoir conclure que les blessures de votre pauvre enfant ne mettaient pas sa vie en danger, du moment qu'il a eu un pansement, que la présence du médecin auxiliaire, du brancardier divisionnaire des Chambrettes et de la majeure partie des brancardiers du 47e qui connaissaient la situation du blessé dans les batteries, a dû permettre l'évacuation sur une ambulance.

Ce ne sont que des présomptions, mais je les crois très sincèrement plausibles et je vous engage à conserver bon espoir. Je souhaite de tout mon coeur ne pas me tromper.

Vous avez dû voir dans les communiqués que nous avons toujours été ferme, et que si les sacrifices sont gros, le but est atteint. C'est un grand réconfort pour nous.

Bonsoir mon cher P. soignez-vous bien et conservez bon espoir, c'est dans toute la sincérité de mon coeur que je vous écris. Pardonnez mon gribouillage, je suis éreinté.

Affectueusement. BOURDIEUX

11 mars 1916 - Copie du Rapport du Maréchal des Logis BERNARD sur les blessures et la disparition du Brigadier Robert

C'était le 24 février dans la matinée, le bombardement ennemi battait son plein et arrosait copieusement la position. Tout à coup le caisson de la première pièce sauta, un téléphoniste venait d'être tué, il était dix heures trente.
Avant que nous soyons pleinement remis de ce premier contretemps, un homme blessé surgit dans notre abri, demandant du secours. "Un obus, dit-il, est tombé sur notre abri! Ils sont tous tués! Allez vite!"

On se précipita, notre lieutenant en tête. L'abri était bouleversé. Parmi les morts, trois blessés gémissaient. Le premier dégagé fut le Brigadier Robert P. qui avait la bouche traversée de part en part par un éclat, le bras droit ayant également une blessure, était sans mouvements. Il en avait une troisième à la jambe droite.

Nous le transportâmes dans notre abri où il fut pansé immédiatement. Il perdit beaucoup de sang; malgré cela il pouvait parler et toute la matinée nous pûmes le désaltérer avec diverses boissons que nous avions sous la main. Le major prévenu ne put se rendre à la position à cause du bombardement. Nous couvrîmes le brigadier Robert P. de couverture, alors il s'assoupit et quand vint la minute tragique de l'évacuation, comment emmener nos blessés?

Pas un brancard, et puis il souffrait tellement, ce dernier ne pouvait même pas supporter qu'on le tournât sur le côté, alors la rage au coeur, nous abandonnâmes ces braves à leur malheureux sort.

Maréchal des Logis BERNARD

11 mars 1916 - Copie du Rapport du Lieutenant GARAMBOIS

Au cours du bombardement allemand du 21 au 24 février, le Brigadier Robert P. assura la liaison entre la 32e Batterie du 47e et l'échelon. Pendant les journées du 22 et 23 particulièrement il eut à porter des ordres de ravitaillement à l'échelon sous des bombardements violents. Le 23, sur ma proposition pour le relever de sa fonction d'agent de liaison qu'il exerçait ponctuellement depuis huit jours, il me demanda de rester à ce poste.

En attendant les ordres à la Batterie le Brigadier Robert P. s'abritait dans une casemate à droite de la première pièce avec le personnel des première et cinquième pièces. A dix heures trente cinq un premier obus tombe à la porte de cet abri et tue un téléphoniste. A onze heures un nouvel obus traverse une cloison en rondins de l'abri, tue quatre servants et blesse quatre hommes parmi lesquels le Brigadier Robert P.

Un des blessés vint aussitôt dans notre abri crier au secours pour les camarades sous l'abri en partie effondré. En même temps le Maréchal des Logis ramenait à notre abri, en le soutenant par le bras, le brigadier Robert P.
Un brancardier donna aussitôt les premiers soins au brigadier. Ce dernier avait une blessure à la joue et à la mâchoire, cette blessure ne lui enlevait d'ailleurs pas l'usage de la parole. Un autre éclat lui avait fracassé le coude droit. Enfin, un troisième éclat s'était logé dans la cuisse droite. Les trois pansements lui furent immédiatement faits.

Pendant ce temps le blessé réclamait à boire et demandait à être évacué. Le médecin BERTRAND alors aux Chambrettes fut envoyé chercher par un planton. Le bombardement était tellement violent qu'il ne put venir à la Batterie pas plus que le planton après avoir essayé à plusieurs reprises. D'ailleurs aucun des plantons envoyés au groupe pour avoir des renseignements n'a pu revenir à la Batterie ce jour-là.

Le Brigadier Robert P. fut étendu à côté du Maréchal des Logis blessé également. De temps en temps on leur donnait à boire, il réclamait toujours également à être évacué. La Batterie était toujours soumise à un violent bombardement.

Dès que l'apparition de l'ennemi fut reconnue à quelques centaines de mètres de la Batterie, et après avoir pris les dernières mesures, nous partîmes en emmenant le seul blessé transportable, le téléphoniste GREBOS. L'ennemi était trop proche pour songer à emporter les blessés couchés.

Lieutenant GARAMBOIS.

Le 20 mars 1916 (presque un mois après la dernière lettre de Robert) 3 cartes parvinrent en même temps à la famille. Elles avaient été dictées par Robert.

7 mars 1916 - Carte des prisonniers de guerre - camp de Darmstadt - Allemagne

Chère Maman,
Blessé et prisonnier. Tout va bien. Envoyer de suite colis pain, conserves. Inquiet sur le sort de papa. Bien à vous.

8 mars 1916

Chère Maman,
Blessé et prisonnier. Je suis bien soigné et ne risque rien. Envoyez-moi deux colis de trois à cinq kilos par semaine, pain spécial, beurre, lait, confiture, chocolat et dans le premier colis un couteau de poche, une assiette, une cuillère. J'aimerais bien avoir quelques nouvelles de papa. Envoyez-moi aussi un peu d'argent, ne vous tourmentez pas à mon sujet et envoyez-moi cela. Je vous embrasse bien tendrement, votre fils respectueux.

15 mars 1916

Chère Maman,
J'espère que vous avez reçu mes deux cartes, je suis blessé au bras droit, au visage, à la cuisse mais tout va bien. Je suis bien soigné, envoyez-moi des nouvelles de papa le plus tôt possible car je suis inquiet sur son compte. Je vous demanderais encore du beurre, lait, confiture, chocolat, un couteau, une assiette, du pain mais rien de trop dur car je peux à peine mâcher. Encore une fois tout va bien et j'espère qu'il en est de même pour vous. Je vous embrasse tendrement.

Image du Blog adelette.centerblog.net

Dans le prochain épisode vous saurez ce qu'à réellement vécu Robert après que ces supérieurs l'aient abandonné, blessé, près du fort de Douaumont, le 24 février 1916. Il l'a lui-même raconté dans une lettre écrite à sa soeur quelques temps après.

Sort:  

Nos générations présentes ont tendance à oublier que la guerre, c'est avant tout des horreurs et de la tristesse.

Mais pour chaque homme et femme qui ont du y participer, souvent malgré eux, je me dois de saluer le courage d'avoir surmonter et supporter cette épreuve, votre grand-père comme beaucoup d'autres.

Je méprise l'idée même de la guerre, mais je respecte les pauvres gens qui en sont les victimes.

Ces récits que votre grand père à écrit ne doivent pas être oubliés, c'est en se souvenant que l'on évite de refaire les mêmes erreurs au niveau historique.

Je me demande souvent pourquoi nous oublions ces périodes si dramatiques de notre histoire. C'est comme si nos mémoires, après chaque période plus heureuses, effaçaient le passé où ne voulaient plus se les rappeler. Les plus jeunes écoutent ou apprennent l'Histoire mais ont beaucoup de mal à s'imaginer qu'ils pourraient vivre une guerre parce que, c'est bien connu, il n'y a que l'expérience qui compte.
Espérons tout de même que nos gouvernements ne nous entraînent jamais plus dans ce genre de désastre!

Ce fut un miracle qu'il soit sorti de ce bombardement !!
Quel soucis a dû se faire votre famille pour Robert et son père,
et pour son père est ce que ça a été ?
Courageux même bléssé et prisonnier, quel homme!

Oui @archeothot, son père n'a rien eu miraculeusement. Grâce à lui les recherches menées pour avoir des renseignements sur Robert ont été accélérées et la famille a peu attendu comparé à beaucoup d'autres.

Il fut un temps, on envoyait du beurre par la poste 😱
(la petite touche comique parmis toutes ces horreurs)

Oui, tu as raison, ça paraît surprenant, mais après tout pourquoi pas, surtout au mois de mars! Quand on voit les températures que nous avons en ce moment, on comprend!
Rien à voir mais je te suggère d'aller lire le dernier blog de @k-a-s-i-a

Haha! Son dernier post c'est ca? Bon bah heureusement que je ne fais pas de surf 😉

Ça fait étrange de lire ce récit particulièrement parce que hier soir j'ai regardé, à TV5, un reportage sur la bataille de Verdun. Et pour nous, Québécois, c'est incompréhensible parce que nous n'avons pas connu de guerres sur nos terres. Tout est si lointain et irréel.

Oui, je comprends. Pourtant, même si ce n'était pas sur vos terres vous avez tout de même eu des canadiens qui sont venus plusieurs fois nous aider dans les guerres et il y en a certainement qui vous ont raconté leurs histoires! Mais peut-être n'ont-ils pas eu envie, comme la plupart, de raconter la guerre et ses horreurs! Ou peut-être faut-il que ce soit un proche pour que cela nous touche plus!

Mais je n'ai connu personne qui soit allé à la guerre.

Toujours aussi passionnant ces récits.

J'ai envie de te répondre oui, malheureusement. Cela ressemble à une fiction mais c'est loin d'en être une, ne l'oublions pas!

De plus en plus incroyable ce destin ! merci de nous avoir épargné les photos en effet...quelle horreur que cette guerre ci en particulier, et tous les combats en général...

C'est sûr! Et je pense qu'en ce moment même il y a des gens qui vivent des moments tout aussi affreux!

Je n'ose même pas imaginer son angoisse lorsque les troupes ennemis sont arrivées... Heureusement qu'il était bien traité en tant que prisonnier de guerre. Au Viet Nam, malheureusement, les prisonniers de guerre n'avaient pas la même considération... mais ceci dit, Robert a eu beaucoup de chance, quel destin !

Ne t'imagine pas que les prisonniers étaient bien traités @tiloupsa. La manière dont Robert écrit c'est uniquement pour rassurer sa famille. C'était une chose très importante pour les soldats: rassurez la famille avant tout, comme s'ils prenaient tout sur eux; ne pas se plaindre, ça c'était être un homme! (ce n'est pas ma façon de penser mais la leur à cette époque)
Lorsque j'ai fait le travail de lecture et de retranscription des lettres pour en faire un livre, ce qui demande énormément de travail, pendant des mois, j'ai compris qu'il fallait savoir lire entre les lignes. Le courrier des soldats est lu et ils ont interdiction de parler de leur position, des actions à venir et de critiquer l'armée sous peine de fortes sanctions.
En tant que prisonnier ce doit être encore pire. Je ne crois pas qu'ils aient vécu la torture comme, je pense, au Vietnam, mais dans les premières cartes de Robert on comprend qu'il meurt de faim. Tu verras par la suite que ce n'était pas très gai.
Merci de ton assiduité à suivre Robert et à bientôt dans ton histoire à toi.

c'est donc pour ça qu'il insistait tant sur les vivres à lui envoyer... tu as raison, je vais trop vite en déduction, naïvement... merci de m'avoir éclairée !

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