14/18 - Nous sommes de la boue qui marche #11

in #life6 years ago (edited)

Episode 11 - Robert ne donne plus signe de vie


Les lettres de mon grand-père échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père.
La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance de 1914 associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.

épisodes précédents: 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10

cimetière Verdun.jpg

Mémoires

Retour à Haironville et un jour, au début de février 1916, nous prenons la route sous la neige, direction Bar-le-Duc puis, à l'est, Verdun. Nous couchons à Souilly et le lendemain nous défilons devant un général que tous connaissent: Pétain. De Verdun nous sommes dépêchés devant Douaumont, près de la ferme des Chambrettes, au bois des Caurières.

Attaque allemande que tout le monde connaît. Froid, gel, neige, terrassement et toujours pour moi la liaison. J'ai d'ailleurs de plus en plus de mal à l'assurer. A l'échelon on veut me relever à trois reprises mais je refuse parce que je connais le cheminement, les angles morts et qu'un autre y resterai. Je vais au fort de Douaumont porter un ordre et me fais enguirlander par le gardien de batterie, vieil adjudant chef, pour un motif futile.

Carte de Robert à sa mère - 23 Février 1916

Ma chère Maman,
Toujours en excellent état, je viens vous rassurer sur ma santé et celle de Papa que j'ai vu hier soir. Les journées sont rudes mais enfin tout va bien pour le moment. Il fait un temps gelé et un peu de neige. Nous sommes très occupés et l'ouvrage ne chôme pas. Les Boches n'ont guère l'air de réussir. Je ne puis vous écrire plus longuement mais j'espère le faire plus tard. Je vous remercie beaucoup de deux colis reçus. Je vous prierai de garder cette carte elle me rappellera bien des choses. Mais je vous en prie ne vous émotionnez pas. Papa n'a presque pas été marmité jusqu'à ce jour et je l'ai bien prié de ne pas s'exposer. Je vous embrasse bien tendrement. Votre fils respectueux.

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Général Pétain«Courage, on les aura !» : son cri de résistance lui valu l’admiration des poilus

Mémoires

Le 24 février à 9 heures les allemands sortent du bois à 700m de nos pièces. Ils avancent en colonnes avec serre-files. Nous tirons dans le tas sans arrêt en débouchant à zéro. Des casques, des membres, des sacs volent en l'air. Ils avancent. Des fantassins français, hagards, se replient. Nous sommes par équipes, nous relayant aux pièces.

Pendant un court arrêt un premier obus fait brûler la poudre d'un tas de cartouches de 75 devant notre abri. Un camarade gît au fond, un peu de fumée s'élève à sa tête. C'est la vapeur de sa cervelle qui, dans l'air gelé, s'en va.

Les agonisants gémissent. Il me semble entendre une portée de petits chiens geignants tant je suis assourdi. Je me sens blessé à la tête. Je me dresse, crie pour eux, pour que toute cette affreuse fin ne soit pas en vain: "Vive la France!" Je sors de l'abri, tombe sur le lieutenant qui, lui, un dur, s'écrie:
"Ah mon pauvre ami!" et me traîne au P.C. Mais pourquoi coupe-t-il ma manche de vareuse...je n'en ai pas d'autre... et je sombre dans l'inconscient.

FotoJet (96).jpg

Tourelle de défense - Fort de Douaumont

Lettre de Pierre à son frère Robert - 29 février 1916

Mon cher Robert,
Maman et toute la famille sommes bien inquiets sur ton compte. Voilà déjà bien longtemps que nous n'avons pas de nouvelles de toi et pendant ces journées où la bataille fait rage autour de Verdun, où tu es, tu comprends nos inquiétudes. D'autant plus que nous avons su que tu étais agent de liaison, poste bien dangereux pendant les combats!

Maman t'a envoyé tout un paquet de bonnes choses pour améliorer ta nourriture mais cela ne t'est peut-être pas encore parvenu à cause du chambardement qu'il doit y avoir là-bas. As-tu beaucoup souffert de la neige? Ici elle est tombée abondamment et j'ai bien pensé que cela a dû être pour toi encore un sujet de souffrance, toi qui crains le froid.
Je te souhaite bien de tout coeur que tu te portes le mieux possible. Si tu as un moment de libre (je sais bien qu'ils sont rares maintenant) écris à Maman car tu ne peux te douter de l'inquiétude dans laquelle elle est dès que tu n'écris plus.

Adieu mon cher Robert, mille baisers affectueux. Ton frère qui t'aime tendrement.

Notes de moi même @ofildutemps:
Du 24 février au 5 mars la famille de Robert n'eut aucune nouvelle. Les journaux rapportaient la terrible bataille de Verdun qui commença le 21 février et l'inquiétude de la famille fut indescriptible. Le père de Robert vivait lui-même cette bataille et n'osait croire que son fils avait été tué. Il se heurta à de nombreuses difficultés pour avoir des renseignements sur Robert car la pagaille était monumentale.

Puis, le 6 mars 1916, un télégramme du père de Robert apprit la chose suivante à sa famille:

Suis bonne santé - Ecris à Roussel pour renseigner sur Robert laissé blessé aux Chambrettes le 24 et certainement prisonnier - amitiés.

Dans le prochain épisode nous verrons ce qui est arrivé à Robert et dans quelles circonstances.

Sort:  

on a coupé la manche de sa vareuse... ça n'annonce rien de bon. Je devine un peu le reste mais reste aux aguets pour apprendre ce qui s'est passé ! Quant au terme "marmitter", qu'est ce que cela veut dire ?

Bonsoir @tiloupsa. Si tu te prends une marmite sur la tête tu ne seras plus très belle à voir! Se faire marmiter cela veut dire recevoir des projectiles allemands. C'est un terme d'argot que les soldats français employaient.
Te voilà nettement plus intelligente maintenant que tu sais cela, non?;)

ben du coup oui ! Merci Ofildutemps pour m'avoir éclairée la marmite ! Bon, j'imagine que l'équivalent au Viet Nam, c'est recevoir un bol de riz... il va falloir que je me documente, ha!ha!

J'ai hâte de lire la suite ;)

Merci @kalypso56, je pense que tu ne seras pas déçu.

T’as réussi à me transporter le temps d’un instant en première ligne de cette guerre!!!
J’attend la prochaine diffusion avec impatience !!!

Je n'y suis pas pour grand chose @kelos parce que moi je ne fais que vous faire partager les écrits de mon grand-père, mais je suis contente que sa prose t'emmène à ce point au coeur de ce qu'il vivait.

Je n’ose pas imaginer l’angoisse de la famille qui reste sans nouvelles si longtemps. Hâte de savoir la suite

Surtout qu'ils s'écrivaient quasiment tous les jours! Là ça fait dix jours qu'ils attendent, ils savent qu'il n'est pas mort mais ils vont devoir attendre encore pour avoir des précisions.

Oh là je crains le pire @ofildutemps, j'espère que ce n'est pas ce à quoi je pense...

Je ne sais pas à quoi tu penses @marie2018 mais ce ne sera pas très drôle, bien que....

Pauvre Robert !! J'espère que ce n'est pas trop grave !!!
Lui si courageux , quelle terrible guerre!!!

Tu verras dans la suite que Robert a eu de la chance dans son malheur et c'est une partie très intéressante. A bientôt et merci encore une fois de me suivre.

Je tire mon chapeau à tous ces hommes qui ont vécu les 2 guerres,
et l'on voit aujourd'hui des gens qui se plaignent, lire ton récit leur ferait du bien !!!

Ne nous faites pas languir trop longtemps ma bonne Brigitte ! Comme la famille devait être inquiète et se ronger les sangs d'être si longtemps sans nouvelles !

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