14/18 Nous sommes de la boue qui marche #4

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Guerre de 14/18 - épisode 4

A l'approche de Noël

Pour lire les épisodes précédents cliquez sur: épisode 1- épisode 2- épisode 3

Les lettres de mon grand-père échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père.
La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.

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source

Lettre de Robert à son père – 22 décembre 1914

Mon cher Papa,
Nous sommes en plein combat. Je n’ai jamais rien vu de pareil. Je viens de rester trois heures aux pièces comme tireur. Mes idées sont éparpillées il faut que je les coordonne un peu.

Figurez-vous que depuis trois semaines nous avons fabriqué des abris-casemates où sont logées nos pièces. Le bruit se décuple et c’est assourdissant. La fumée enivre et étouffe, la plate-forme poisse et glisse. Nous commençons à tirer un et deux coups par pièce mais bientôt c’est quatre par pièce puis six par pièce.

Alors imaginez-vous pendant près de trois heures, des 4, 6, 8, 12 coups par minute et par pièce. Une griserie vous prend et je tire sur ce cordon tire-feu avec frénésie. Il y a une fumée là-dedans ! Un vibrement qui, de douleureux finit par n’être plus qu’un bourdonnement prolongé et ininterrompu.

On a envie de hurler et de rire, de rire nerveusement, hystériquement !

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peinture par @artzanolino

Mais les Boches nous ont repérés et leurs 77 et 88 viennent dégringoler autour de nous. Voilà une demi-heure qu’il nous pleut des obus autour de nous et je ne m’en suis pas aperçu, on ne les entend pas venir, on ne les voit pas tomber et la danse terrible continue.

Mon cher Papa il faut que sûrement nous rentrions tous deux au foyer il le faut absolument et je vous assure bien que ce n’est pas ces infects Boches qui nous arrêteront. J’ai vengé Pappias (voir épisode 3) et j’en suis content.

Adieu cher Papa, je vous embrasse bien tendrement.

Lettre de Robert à sa mère – 27 décembre 1914

Ma chère Maman,
Merci pour votre bonne lettre et pour le paquet de « La Belle Jardinière » contenant une paire de gants,une blague, du fil des aiguilles et des ciseaux.

J’ai passé un Noël saumâtre mais pour nous il n’y a ni dimanches ni jours de fêtes. Les Allemands ont hurlé dans leurs tranchées et nous leur avons donné l’accompagnement avec quelques coups de 90.

Nous n’avons nullement reçu des colis du « Petit Paquet ». Il y a beaucoup de fumisterie dans les administrations. Il n’y a pas un tiers de ce que l’on envoie aux soldats qui leur parviennent.

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peinture par @artzanolino

Les Allemands ne font plus de prisonniers et nous non plus. Tout prisonnier est fusillé. Il y a du bon et du mauvais, on sait au moins à quoi l'on s'expose quand on est pris par les Boches.

On nous parle toujours d’une grande attaque générale mais quand viendra-t-elle ? Nous commençons à trouver le temps long à Prunay. Nous faisons des fortifications comme si nous devions rester ici mille ans.
Ah! ce m’aura été une rude leçon où l’on apprend beaucoup, je vous assure. Puissions-nous nous retrouver tous bien portant après ce cauchemar.

Adieu chère Maman. Votre fils qui vous souhaite une heureuse année et qui vous aime de tout son cœur.

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Lettre de la mère de Robert à son fils - 29 décembre 1914

Mon cher Robert,
J'attendais impatiemment ta lettre. Dans ces tristes jours de la cruelle année qui finit je ne puis assez souhaiter pour toi que tu conserves ta belle énergie.

Oui mon cher petit, j'ai lu souvent à travers les lignes tout ce que tu me cachais, sur quoi tu glissais pour ne pas nous effrayer mais c'est une preuve de ton affection. Si tu ne veux pas que nous te plaignions nous comprenons ton courage, tout ce que tu supportes depuis cinq mois.

Nous qui aimions tant te gâter un peu pour Noël, que cela est triste et vide notre famille sans ton Père, sans toi, sans Pierre! Nous sommes allées à la messe de Minuit pour ne pas rester si seules à vous attendre quand l'année dernière j'avais eu la joie de te voir, de t'embrasser en bonne santé.

Courage mon petit, tu remplis ton devoir pour ta Patrie. Dieu te voit et ton Père, ta Mère, tes frères et soeurs te suivent dans ta vie courageuse. Je ne forme pas de souhait pour 1915 que celui de nous voir tous réunis, ce serait un si beau jour et que le temps me pèse en attendant!

Ecris-moi vite mon chéri. Je t'embrasse du fond du coeur; que ne puis-je partager tes peines et tes souffrances!

Ta mère qui t'aime.

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Lettre de Robert à sa mère - 30 décembre 1914

Ma chère Maman,

J'ai reçu votre bonne lettre du 24, celle que vous avez écrite pendant la nuit de Noël. Je vous en remercie beaucoup.J'ai bien reçu le colis. L'Etat a bien voulu me donner une nouvelle paire de chaussures mais la vôtre me fera quand même bien plaisir.

Ah! quel affreux Noël nous avons passé dans l'eau glacée avec un vent froid à décorner les boeufs. Vous croyez que je me faisais du mauvais sang! Ah détrompez-vous, je suis devenu très flegmatique m'assurent mes camarades et mes chefs.

J'observe beaucoup et je constate que les civils sont loin de connaître l'entière vérité et après la guerre il y aura beaucoup à apprendre.

Je constate que la vie est une chose essentiellement futile, essentiellement passagère et qu'il faut en chercher la quintessence du bonheur en méprisant le malheur.

Je ne peux me raser que très irrégulièrement et cela me gêne beaucoup car je tiens à me tenir le plus proprement possible car rien ne dégrade comme la saleté.

Je suis bien heureux que papa ne souffre pas trop de la campagne. Moi non plus je n'ai pas maigri, j'ai un appétit d'enfer. Je ne dors pas très bien mais cela n'a que fort peu d'importance.

Je crois que nous ne nous reverrons pas avant l'été mais quelle joie quand nous nous retrouverons. Je crois que nous pourrons tuer le Veau Gras. Pour le moment nous sommes à la peine mais un jour viendra où nous nous aimerons encore davantage.

Il fait froid pour le moment mais d'une mauvaise façon car l'atmosphère est imprégnée d'eau et les chemins sont des bourbiers. Cette Champagne crayeuse ne cesse de faire de la boue. Mais qu'attendons-nous, palsambleu, pour attaquer.

Nous faisons de réelles fortifications et je vous assure que le soir, quand on a pataugé dans la boue grisâtre, que l'on a reçu la pluie glacée, les obus, les marmites, le vent glacial, que l'on a promené les chevaux, tiré des coups de canon, brouetté de la glèbe, fabriqué des gasunies et des gabions, réparé les routes changées en fondrières et toujours, toujours avec ce marais, cette eau maîtresse partout, je vous assure que l'on est parfois fatigué.

Mais je ne cherche pas à comprendre, je suis l'infime molécule de la masse agissante, j'essaierai d'en tirer ma peau, espérons-le.

Enfin, adieu chère Maman, chères petites soeurs. Nous allons entendre la nouvelle année, s'amuser au milieu des shrapnells, qu'importe et qu'elle soit la bienvenue.

Votre fils qui vous embrasse tendrement.

A suivre

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Je remercie beaucoup @artzanolino qui a eu la gentillesse de me prêter deux de ses oeuvres pour illustrer cet épisode.
Je vous invite à faire un tour sur son blog, vous y trouverez des tableaux pleins de poésie et de réflexions dans un univers très coloré. Thank you so much @artzanolino.

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This is the most intimate experience of war I've ever had... These letters have me crying and really blown away by everything that is written in them. The horrific conditions of war, the transformation of your grandfather, his realisation of how temporary our body vehicles are, the tender love of maman, the pain and destruction of war, the numbing of the mind, the fortifications we build to survive... It's the god awful truth and it hurts.

Thank you for sharing this, I can imagine it might be difficult to share something so private, but if your mission was to shed light, give insight and to help transform the pain. You have absolutely succeeded... Merci du fond du couer.

With love and respect for your family,

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Vous êtes la première personne à me parler si franchement de ce qu'il ressent en lisant ces lettres. Je crois que bien souvent les gens n'osent même pas aborder le sujet. Il y a tant de souffrances et de déprime dans ces lettres que, soit on prend de la distance pour se protéger, soit on souffre. En ce qui me concerne je souffre à chaque fois que je relis certaines lettres mais ma souffrance est tellement ridicule à côté de ce que tous ces jeunes soldats ont vécu que je pense vite à autre chose. J'espère simplement que mes enfants n'auront jamais à vivre une guerre et je souhaite très fort que les pays qui vivent une guerre en ce moment ne souffrent pas autant. Mais là encore, j'ai plus envie de penser à autre chose parce que je ne peux rien faire.

Pareil... We do share in the pain, we owe it to all those who died for our freedom, to live in peace and harmony... We need to find a way...

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Je ne sais pas si c'est ton sentiment mais il me semble que tu as trouvé ton chemin. Tu partages avec les autres des oeuvres pleines de réflexion sur l'humanité et tu le fais avec tellement de poésie et de belles couleurs que cela apaise et nous emporte dans un univers de paix sans toutefois nous ôter l'envie d'agir.

You write so beautifully, thank you for this great confidence you place in me.
I dedicated my life to art and have been working passionately for 12 years. It's not an easy parcours, but if your description is even close to accurate, than I must be doing something right.

I hope you know this comment is really taken to heart.

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C'est EXTRAORDINAIRE ! Pouvoir lire de tels témoignages est une véritable chance que vous m'avez offerte comme un cadeau inestimable ! MERCI ! Je suis moi même enfant de la guerre et mon père militaire "mort pour sa nation"... Votre post m'a touchée au plus profond de mon être... Mille merci, Ofildutemps, c'est une sacrée chance que de vous avoir lue ! Je resteem !

Je suis vraiment très touchée par votre commentaire @tiloupsa. Je sens que ces lettres vous ont tout particulièrement parlé et j'en suis émue. J'imagine que vous ressentez encore beaucoup plus que moi les souffrances et les privations des soldats. A quelle guerre faites vous allusion dans votre réponse?

celle du Viet Nam chère Ofildutemps... celle des frères qui s'entretuent et des fils perdus.

Encore un très bon article!

Votre commentaire me fait très plaisir @deboas. Je vais aller du côté de l'Argentine pour voir s'il y a du nouveau. A bientôt.

Parfois une lettre décrit plus qu'aucun autre documentaire , qu'aucun historien l'atrocité de la guerre. Je n'ai lu que les deux premières lettres qui me rappellent d'Alexandre Soljenitsyne. Je fait dorénavant partie de tes followers @artzanolino

Merci @mimbel. Ton commentaire est très vrai et c'est justement ce qui m'a motivé a publier ces lettres.
Ceux qui sont revenus de cette guerre ont vraiment très peu parlé, on peut le comprendre, et j'ai vraiment eu de la chance de récupérer cette correspondance.

Good Information Provided!

Waah... C'est difficile de commenter. Quand on arrive a la fin on se pose tellement de questions que le petit rectangle prévu pour les commentaires semble etre assez ridicule.

Mais je ne cherche pas à comprendre, je suis l'infime molécule de la masse agissante, j'essaierai d'en tirer ma peau, espérons-le.

Il en a tiré sa peau. Heureusement :)

Oui il s'en est sorti bien fracassé.
Mais tu en sais quelque chose puisque tu racontes un peu la suite de sa vie à travers ton blog The treasures left behind by my great grandfather
Je me demande souvent comment aurait été cet homme si la guerre n'avait pas eu lieue.
@yagoub disait dans une de ces réponses "parfois.. La guerre nous laisse de belles choses entre beaucoup de destruction". Je crois qu'il a un peu raison.

Oui. Il y a de la beauté dans tout. Meme dans le malheur. Il est juste parfois tres difficile de la voir. Toute une histoire de yin et de yang :)

Tout cela est merveilleusement bien écrit, et pourtant terriblement difficile à lire sans plonger dans l'émotion....

L'émotion n'est-elle pas ce qui nous fait nous connaître et avancer dans la vie? On ne doit pas la fuir, au contraire grâce à elle on devient plus fort.
Merci Barbara de suivre la correspondance de mon grand-père. J'espère, justement, qu'elle fera en sorte que ces maudites guerres ne soient pas reléguées uniquement dans les livres d'histoire.

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