Ma situation commence à faire parler d’elle. Rentrant au bateau, je suis alors interpellé par un ouvrier du village qui me demande de le suivre 20m plus loin. Il m’entraine sur un terrain vague au bord de la route et en dégage les hautes herbes. Se découvre alors un vieux mât en aluminium, brisé et en mauvais état certes, mais de section ovale… J’ai du passer devant ce mât des dizaines de fois sans jamais le voir… Ce mât est de section légèrement supérieure à celui que je recherche. Mais il est composé d’une association de deux demi-coques rivetées sur leur longueur. Il serait très facile de séparer les coques pour réduire la section et les ressouder ensuite. Le chef de projet est partant. Reste alors à négocier le prix de vente de ce vieux mât. C’est alors que tout la splendeur de la spiritualité balinaise revient au galop. Le « gérant » de ce mât m’en demande ni plus ni moins que 7000€. Je crois rêver ! Le double du prix d’un mât neuf acheté en Australie. Les taxis, les marchands, les guides, ici, personne n’a peur de multiplier ses prix par deux, cinq, ou dix devant un client étranger. Cela rend l’île invivable. Un tel mât brisé, sans équipement et abîmé comme celui-ci, verrait son propriétaire bien heureux de pouvoir le laisser pour quelques centaines d’euros sur n’importe quel chantier de la planète. Seulement ici, la concurrence n’existe pas dans ce domaine, et profiter du désarroi d’autrui ne pose définitivement aucun problème de conscience. Après une dizaine de jours de négociation, de rencontres et de sms, le dernier prix sera fixé à 1300€ pour une moitié du mât. Ce prix reste toujours grandement exagéré. Seulement voilà, ces quelques mois passés à Bali auront au moins eu l’avantage de me rappeler combien j’étais heureux dans les îles avec les poissons et les villageois loin de ces ambiances de gens intéressés. Ma liberté est à ce prix. Si tout se passe bien, dans quelques mois cette somme me paraitra dérisoire, et j’aurais très vite oublié cet ignoble profiteur que j’ai envie de noyer aujourd’hui. Je n’ai pas le choix, c’est soit ça, soit Aurora ne repart pas. Je ravale ma fierté et les travaux peuvent enfin commencer après 2 mois de recherche.

La première étape consiste à découper deux mètres de tronçon et à séparer les demi-coques. Une bande de cinq millimètres de longueur est enlevée à chaque extrémité des coques qui sont ensuite réassemblées et souder par le seul soudeur aluminium breveté de l’île. Le résultat donne un manchon de deux mètres de longueur et de section épousant très correctement l’intérieur du mât d’Aurora.

_{Les 2 parties du mat à emboiter}

La dernière grosse inquiétude vient de la zone défoncée du mât. Lors de l’accident, la section du mât s’est enfoncée vers l’intérieur d’un bon centimètre. Il faut la redresser pour pouvoir y emboiter le manchon. En cas d’échec, il faudrait alors couper la partie défoncée. Cela signifierait raccourcir le mât, et donc changer le haubannage et retailler les voiles… Heureusement les mains habiles d’un artisan local font le travail et permettent de pouvoir ajuster le manchon dans la première moitié de mât.

_{Demi-mat manchonné}

Les deux demis mâts sont alors transportés au chantier de soudure aluminium à l’opposé de la ville. Elles y sont emboitées autour du manchon, soudées et rivetées. Le mât remboité et ses 16m de longueur, ne peuvent être transportés par camion. C’est illégal. L’opération se déroulera donc de nuit pour éviter la police. La présence d’étranger sera évitée pour qu’en cas d’arrestation, les policiers ne soient pas incités à demander un « tarif de passage » trop élevé…

A suivre...

Episodes précédents:
https://steemit.com/travel/@marc-allaria/la-longue-galere-episode-4
https://steemit.com/travel/@marc-allaria/recit-la-longue-galere-episode-3
https://steemit.com/travel/@marc-allaria/recit-stop-8-la-longue-galere-episode-2
https://steemit.com/fr/@marc-allaria/recit-stop-8-la-longue-galere-episode-1

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