[Roman original] Le silence des sept sceaux XV

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Le professeur Murdoch habitait dans les parages, mais une visite tardive déplairait encore plus à l’épouse de ce dernier que les nuits où il découchait. Anna débattue de la bonne chose à faire avec elle-même et au bout d’une minute se résigna à filer en direction de la maison de Murdoch. C’est au coin de Ducharme et Antonine Maillet qu’elle retrouva le petit manoir à la toiture rouge de l’ethnologue. La lumière était allumée, ce qui étonna Anna, car Murdoch avait l’habitude de se coucher tôt. Peut-être recevait-il des amis ? Anna voulut partir, mais elle se rendit compte qu’elle cherchait des excuses pour renoncer. En marchant vers la porte d’entrée, Anna se demandait ce qu’elle allait dire à Murdoch. Ils ne s’étaient pas vus depuis un certain temps et ne s’étaient pas quittés dans les meilleurs termes.
Toc, toc, toc.
Il s’écoula un court laps de temps et Anna entendit des pas de l’autre côté de la lourde porte en érable. Elle recula comme si elle se désistait, mais revint sur ses pas en voyant qu’elle n’aurait pas le temps de se cacher.
― Anna ? dit un grand homme brun à la barbe taillée et aux petites lunettes noires.
Terry Murdoch affichait un air ahuri. Le Néo-Écossais d’une cinquantaine d’années ne sut pas comment réagir à ce qu’il voyait. Il se contenta de rester les bras ballottant dans son cardigan brun et beige, l’air badaud, et espérant qu’Anna prenne la parole bientôt. Au bout d’une minute, Murdoch voyait bien qu’elle ne dirait rien, alors il l’invita à entrer. Le professeur de carrière la prit par le bras et la mena dans son salon, c’est le moment que choisit Anna pour se confondre en excuse et en larmes.
― Ah, je suis désolé Terry, je sais que je n’aurais pas dû venir, mais je ne savais quoi faire… et ta femme va être…
― Shu, shu,shu, fit-il en mettant un doigt sur la bouche d’Anna.
Murdoch se leva et se rendit à un petit meuble en bois. Il en sortit deux verres et une bouteille au contenu tête-de-Maure. Il versa une bonne rasade du liquide dans chacun des deux verres.
― First of all, ce n’est pas un problème, ma femme est au chalet... il n’y a pas de mal, expliqua-t-il avec son petit accent canadien.
Murdoch revint près d’Anna et lui tendit un verre en l’invitant à s’asseoir dans un énorme canapé en cuir.
― Ensuite, I’m sure Alice would understand, who wouldn’t help une jeune étudiante en détresse… car oui c’est bien ton cas. Ton joli visage ne me trompe pas, dit Murdoch.
Anna se rappela immédiatement de ce qu’elle avait trouvé irrésistible chez cet homme. En plus de son incroyable intelligence, il avait un charme exceptionnel. Anna ne pleurait plus et ce n’était pas seulement du au cognac qu’elle avait bu.
Murdoch leva les yeux vers le front d’Anna pour remarquer qu’elle saignait. Il ne fut encore plus inquiet. Il se releva en vitesse pour aller chercher du peroxyde et un tampon. Il monta à l’étage pour se rendre dans la salle de bain et redescendit aussitôt avec ce dont il avait besoin.
― Et maintenant, Anna, tu vas m’expliquer tout ce qui s’est passé, dit-il sur le ton qu’aurait pris un père envers son enfant de cinq ans, mais Murdoch n’avait jamais eu d’enfant.
Anna ne sut évidemment pas par quoi commencer, alors elle commença par le début. Elle raconta comment elle avait rencontré Marc après le suicide de sa voisine de palier. Elle essaya aussi d’expliquer dans quel quiproquo vaudevillesque elle s’était retrouvée et la mener à fuir la police. Elle expliqua l’énigme du journal et comment ça les avait mené à découvrir le suicide d’une autre jeune fille. Elle résuma le récit du père Lachaise et de son horrible mort dans l’église qui avait été incendiée. Elle insista surtout sur la rencontre avec Azarias. Murdoch semblait tout particulièrement intéressé par cette histoire d’apocalypse et de documents apocryphes.
― Je connais bien the Apocalypse of Stephen… débuta-t-il.
― Stephen ? demanda Anna.
― Oui, c’est son nom en anglais. Étienne est une forme française issue du substantif grec stéphanos : la couronne de feuillage ou de métal. La déformation de Stéphane en Étienne est aux alentour des XIVe-XVe siècles et fut précédée par Estefan, Estèphe, Estève, etc. Mais l'usage a fait d'Étienne la traduction en français de la plupart des versions étrangères ou anciennes ― précédant le XIIIe siècle ― de Stéphane.
― Mais bien sûr! s’exclama-t-elle, mais un instant, je connais bien ce texte, il n’y a rien à propos d’un livre…
― Ce n’est pas si clair… débuta Murdoch.
― Qu’est-ce que tu veux dire?

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L’ethnologue et théologien semblait un peu hésitant, mais voyant la chance de revenir sur un de ces premiers travaux de recherche, Murdoch expliqua à Anna que dans les années soixante-dix, il avait écrit un papier sur une lettre retrouvée de Clément d’Alexandrie datant de la fin du deuxième siècle. Dans cette lettre, dont l’authenticité est encore débattue aujourd’hui, il était question de l’Évangile de Marc. Un des pères fondateurs de l’Église catholique demandait à ce qu’on qualifie cette version « secrète » de l’Évangile de fausse. C’est un texte qu’on n’a jamais retrouvé, mais que les rumeurs disaient être une version de l’Évangile qui était réservé aux initiés contenant certains éléments magiques et surnaturels. Quelques exégètes prônant un Jésus historique y ont vu l’occasion d’appuyer leur thèse en interprétant ce texte manquant comme une omission volontaire du secret de certains rituels. 

― Je comprends, dit-elle, tu veux dire qu’il y aurait une apocalypse d’Étienne « secret »? demanda Anna.
Murdoch ne la laissa pas terminer, il fit quelques foulées vers la pièce voisine qui s’avérait être la bibliothèque. Il revint rapidement avec deux livres. Murdoch fouillait à travers les pages tout en expliquant ce qui lui était venu à l’esprit : « Le texte de Stephen et celui de Marc sont très proches, les deux portent en eux ce qu’on appelle une « petite apocalypse. C’est une brève description de la fin du monde suivant la révélation de Jésus. » Anna tentait de suivre le fil des explications de Murdoch, mais il y avait des éléments de savoirs qui lui échappait. Murdoch semblait avoir de la difficulté à trouver ce qu’il cherchait, mais il voyait Anna s’impatienter, alors il se rendit à son bureau qui était près d’un petit foyer en acier inoxydable et après quelques secondes de fouilles, sortit de son tiroir un feuillet. Il le tendit à Anna et se remit à chercher dans ses deux énormes livres.
Anna chercha rapidement l’extrait de l’évangile secret. Le texte était un fax-simili d’une traduction en anglais du texte original. L’extrait racontait l’histoire d’un jeune homme que le Christ aurait ressuscité. « But the youth, looking upon him, loved him and began to beseech him that he might be with him», lut Anna. Il était aussi fait mention d’une révélation sur le royaume de Dieu. Anna hésita à dire que ce texte soit ressemblait beaucoup à l’histoire de Lazare, soit il révélait l’homosexualité de Jésus, mais elle s’abstint de tout commentaire.
« Le mot youth (jeune homme) est la traduction du grec neaniskos qui est utilisé dans l’évangile canonique, expliqua Murdoch. Ce terme est aussi utilisé dans Luc et Matthieu, mais où dans Marc il est utilisé (jeune homme en blanc), soit le moment de l’ouverture de la tombe de Jésus, le terme andres vêtu de blanc (deux hommes) est préféré pour Luc et anges de Dieu en blanc pour Mathieu », expliqua Murdoch.

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Ces similarités et ces différences, bien que pour certains déconcertantes, nous amène à penser qu’il y a indéniablement un lien entre ces quatre textes, continua Murdoch. D’où l’appellation d’évangiles synoptiques. L’hypothèse la plus évidente est que le même auteur à toucher ces textes. Dans quel ordre ? Il est pratiquement impossible de répondre à cette question, mais comme je l’ai mentionné, on remarque que Matthieu et Luc sont semblables à Marc, proposant ainsi son antériorité. Par contre, Matthieu et Luc ont des éléments que ne possède pas Marc.
C’est à ce moment qu’Anna commença à comprendre ce que voulait lui expliquer Murdoch. Il voulait parler de la théorie de la deuxième source. Une autre source que Marc qui aurait influencé Matthieu et Luc. L’évangile de Jean étant complètement différent, il était à exclure comme source. C’était donc qu’il y avait un autre évangile qui ne nous soit pas parvenu et qui avait servi de patron à Matthieu et Luc.

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