[Roman] Le silence des sept sceaux: le Pandémonium - I

Prologue

En ouvrant les yeux, il ne voyait que des anges en blanc. Aussitôt avait-il ouvert les yeux, aussitôt voulaient-ils se fermer. Quelque chose de plus fort que sa volonté faisait qu’ils se refermaient.
Ce petit manège dura un temps durant lequel il vit sur le mur face à lui les ombres défiler au fil de la journée. Il faisait nuit quand il put enfin reprendre conscience. Il bougea lentement la tête pour examiner l’endroit où il était. Des murs blancs, un cathéter, à droite, un calendrier indiquant que 1989 arrivait à son terme, à gauche, et une bassine entre les cuisses. Il ne lui en fallut pas plus pour comprendre qu’il était dans un hôpital.
L’infirmière Mathilde vint à son chevet quelques minutes après son réveil. L’haïtienne de 64 ans était vêtu d’un ensemble bleu et blanc. Elle arborait un étrange sourire étincelant― résultat d’une enfance où on lui disait que sourire la mènerait loin.
― Alors, comment va Beaux yeux ce soir ? demanda-t-elle au jeune homme dans son lit, sans comprendre qu’il n’avait aucune idée que depuis cinq ans l’étage le surnommait Beaux yeux comme le capitaine Taylor de La planète des singes.
Il était, comme le héros du film, un grand blond aux yeux bleus. Il était arrivé, non seulement comateux, mais aussi sans aucun papier d’identité sur lui. C’était une infirmière qui revenait du cinéma qui eut l’idée de le baptiser ainsi et, depuis, l’usage s’était perpétué. Voilà quand même un moment que l’infirmière Mathilde était curieuse de savoir quel était le vrai nom de la « Belle au bois dormant ». Beaux yeux essayait de parler, mais sa gorge lui faisait atrocement mal. Il n’obtint de sa bouche que d’étranges sons gutturaux. L’infirmière Mathilde lui conseilla de se reposer, un médecin viendrait à son chevet un peu plus tard. Elle quitta la pièce en emportant le dossier médical de Beaux yeux.
Le lendemain, un médecin lui confirma qu’il souffrait d’amnésie. Beaux yeux avait été retrouvé dans une marre de sang dans le centre-ville. Il essayait de se rappeler de ce qu’il faisait dans cette chambre d’où il venait, ce qui lui était arrivé, mais il n’y arrivait pas. Aucun souvenir ne refaisait surface.
En face de son lit, il aperçut un homme en noir au chevet d’une âme qui n’en avait plus pour longtemps. L’homme en noir tenait dans sa main gauche un petit livre à la reliure de cuir, alors que de sa main droite caressait le front du moribond. Il s’agita un instant avant de fermer les yeux dans un soupir glauque.
L’homme en noir marmonna quelques mots inaudibles et puis se leva en faisant un signe de croix. Beaux yeux comprit que la vocation de cet homme et s’étonna de le voir se retourner vers lui. L’homme de dieu s’assit à son chevet et Beaux yeux commença à se demander s’il était lui aussi mourant.
― Quel est ton nom, mon fils ? demanda le prêtre.
― Je ne sais pas, réussit-il finalement à répondre en prenant soudainement conscience qu’il souhaitait ardemment trouver un autre nom que Beaux yeux pour se désigner lui-même.
― D’où viens-tu ? demanda l’ecclésiastique.
― Je ne sais pas.
Le religieux ouvrit son livre.
― Bien, il va falloir remédier à cela, commença-t-il en prenant la main de Beaux yeux.
Il laissa passer les pages les unes après les autres et la main de Beaux yeux arrêta par hasard l’une d’elles. Le prêtre reprit le livre et lut à haute voix : « Marc, chapitre 13, verset 23 : Et alors, on verra le Fils de l'homme venant dans des nuées avec grande puissance et gloire. Et alors, il enverra les anges pour rassembler ses élus, des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel ».
Le prêtre referma le livre. « Marc, tel sera ton nom, mon fils. Gloire à Dieu, tu as maintenant une nouvelle chance de te repentir… ». Marc n’eut pas le temps de se faire à son nouveau nom, le religieux embrassa son front et se leva en direction de la porte.
― Mais mon père, commença Marc, à qui dois-je mon baptême ?
Et sans se retourner, le prêtre répondit : « Au père Azarias ».