Je t'ai raconté comment j'ai rencontré Bruce Springsteen?

Il est vrai qu’en France, Bruce Springsteen est assez mal connu. Bien entendu, tout le monde va citer « Born in the USA » dont on se souvient qu’il fut le thème des Républicains de Ronald Reagan, d’où une confusion énorme pour les français qui ne comprennent pas le texte et une énorme frustration pour le boss. Et pour les plus ignares d’ajouter que c’est le Johnny Halliday américain, ce qui bien évidemment ne manque pas de sel quand l’un a écrit plus de 600 chansons et textes alors que l’autre n’a collectionné que les couvertures de Gala. Le seul point commun que l’on pourrait leur accorder est l’amour initial d’un certain Elvis Presley. Ceci étant rétabli, hors de question de vous faire sa bio, d’autres l’ont déjà fait. Personnellement, sans me considérer comme groupie, je dois admettre que j’ai une relation particulière avec cet homme, sa carrière incroyable et son répertoire. Et j’avais envie de vous raconter tout ça, illustrer par certains morceaux en live que l’on trouve sur Youtube pour agrémenter mon propos. Vous risquez d’être surpris par ce billet.

Si on vous demande quand vous avez découvert précisément un artiste qui vous tient à coeur, il vous sera difficile de mettre une date. J’aurai le même soucis avec la majorité des artistes que j’adore, mais pour Bruce Springsteen, la date est gravée dans ma mémoire à vie. Le 8 janvier 2008, je suis donc en voiture et je rentre de Caen où j’ai fini quelques jours de boulot pour rentrer à Paris, rejoindre ma famille. Sur l’autoroute, j’en profite pour écouter un CD en mp3 qu’un pote m’a envoyé et recommandé. Live in New York. Au départ, je suis assez septique mais il a pas mal insisté donc j’écoute. Cet album, j’avais déjà essayé de l’écouter quelques années plus tôt et je n’avais rien trouvé de géant là dedans en dehors de Born to Run que je connaissais. C’était ma grand mère de 80 ans qui me l’avait passé en me disant: écoute, c’est le meilleur de mon chouchou! Bref, à l’époque, je n’accroche pas mais là sur la route, je remets l’album. Je suis de très bonne humeur et pour cause, j’ai ma première mission en tant qu’Expert Judiciaire et je vais enfin pouvoir tout changer, gagner confortablement ma vie et consacrer du temps à ma famille que je n’ai pas vu depuis des années en bossant essentiellement depuis la maison. Et là, une chanson va m’interpeler. 41 shots. (41 balles). Je vais être très honnête, j’ai beau parler correctement anglais, je ne comprends pas grand chose au texte mais il me transporte. La musique est plus que simpliste et me prend aux tripes. J’en ai les larmes aux yeux. Je l’écoute et la réécoute. Chaque fois, l’effet est le même. J’ai le coeur qui se noue. La suivante est encore plus triste mais encore plus puissante : Lost in the flood. Je peux employer le terme aujourd’hui : le 8 janvier 2008, Bruce Springsteen m’a bouleversé.

[FR] : Arrivé à la maison vers 21h00, les enfants sont déjà couchés et avec leur maman, nous nous installons au salon, avec un peu de fromage et une bouteille de vin comme on le fait depuis 15 ans, enfin les soirs où je suis là ou rentré à une heure raisonnable. J’ai des choses à lui raconter! Bien sûr, la première mission, le changement de boulot mais je me souviens très bien de ce soir là, j’ai surtout envie de lui faire partager ce que j’ai vécu et ressenti dans la bagnole. j’ai mis l’ipod (oui à l’époque on a des ipods) et je lui fait écouter. elle trouve ça très bien et elle a l’air rayonnante. Je la trouve très belle. Elle aussi a quelque chose d’important à m’annoncer. Sans embage et sans chichi, elle m’annonce qu’elle a rencontré quelqu’un et qu’elle me quitte… Lost in the Flood. Alors que la musique est assassine dans une telle situation, je vois dans ses yeux que je l’ai perdu. Ce n’est même pas la peine de me battre. Je ne sais pas qui est ce con mais elle en est folle amoureuse. Je vais le lui dire d’ailleurs. Et je lui rends sa liberté sans esclandre. et nous allons donc faire chambre à part pour la première fois en 15 ans. Cette nuit là, l’ipod va m’asséner ces deux chansons du Boss en boucle et m’emmener au plus profond de moi même.

[FR] : Le lendemain de l’annonce, je suis parti. Une sensation atroce et bizarre, le sentiment d’abandonner mes enfants, d’avoir perdu une femme extraordinaire et d’effacer d’un coup 15 ans de ma vie. Et dans le même temps, cet incroyable sentiment que c’est une chance que la vie m’offre: je peux tout recommencer à zéro et là sans bavure. L’expérience, ça sert à ça. Ne pas répéter les mêmes erreurs. D’ailleurs, je n’emporte rien. Quelques fringues. Mon mac. Et mon iPod. Pendant les mois qui vont suivre, je m’installe en Normandie pour être au plus proche du boulot et force est de constater que ma méthodologie et ma capacité de travail est vite remarquée. Les étagères se remplissent de dossiers. D’un autre côté, la maman des enfants a gardé les enfants mais est à fond dans sa love story. Et je fais des allers retours tous les week-end pour avoir les enfants. Cela va faire des milliers de kilomètre dans ce que l’on va appeler la papamobile, au moins pendant deux ans. Et en boucle dans la voiture cet album du boss et un autre : The Ghost of Tom Joad. J’aime beaucoup mais je ne suis pas devenu un inconditionnel non plus. C’est ma nouvelle compagne qui va accélérer le mouvement. Pour me faire plaisir, elle a acheté deux billets pour aller le voir aux vieilles charrues. C’est la tête d’affiche et les 45,000 billets se sont vendus en moins de vingt minutes. Sur place, ambiance vieille charrue. Ca fume et ca picole de la bière autant qu’il est possible. Assis par petits groupes dans le champ. Tout le monde attend l’évènement annoncé à 20h00.

[FR] : Oublie les lumières et les flonflons. C’est pas le style. Comme dirait Audiard : c’est plutôt du Brutal d’entrée de jeu. Et ce qui peut surprendre, c’est son groupe : le fameux e-street band. Indissociable de sa carrière, la vingtaine de musiciens le suit depuis 40 ans. Indéfectiblement même si il y a eu un passage à vide dans les années 90. On ne va pas tortiller du cul: la scène, c’est son truc. Depuis toujours. Ce type avant d’être connu jouait tous les jours dans des clubs. Il mettra d’ailleurs beaucoup de temps à accepter les grandes salles où il ne se sentait pas assez proche du public. Car une partie de la magie est là. Sa relation avec son public. Pas un concert où il fait monter du monde sur scène, chaque fois un gamin qui chante avec lui sunny days! Quand il ne danse pas avec sa maman que tous les fans connaissent. T’es en famille en quelque sorte. J’ai une anecdote assez marquante d’ailleurs lors de son passage au Stade de France. Il est 17h00 donc trois heures avant le concert et le stade est au quart en train de se remplir sauf la fosse bien évidemment prise d’assaut. Nous y sommes mais assez loin et ma fille me dit: « papa, il y a un mec en chemise blanche sur la scène ». C’est lui. Guitare sèche et harmonica. Il s’installe sur un tabouret au bord de la scène et joue 5 titres… Il est juste venu remercier son public qui est là depuis des heures, et il nous fait cette petite blague: « on se revoit d’ici peu ». On sait qu’on est parti pour 3h30 de concert à suivre! A Bercy, je suis tombé le soir où il y a eu la panne d’électricité générale. Tu crois qu’il est parti? Pas du tout! Même scénario, une gratte sèche (que personne n’entendait forcément) et hop il fait chanter le public pendant une demi heure.

[FR] : C’est souvent la méprise que l’on fait quand on ne connait pas le répertoire de Bruce Springsteen. Aux Etats-Unis, il est considéré comme un parolier avant d’être un musicien. Et il y a de quoi. Les textes sont puissants, traitent des vrais sujets quotidiens, de la misère sociale, sans jamais tomber dans le misérabilisme. C’est aussi un discours engagé et politique qu’il égraine. Connu pour soutenir régulièrement les démocrates, c’est surtout un farouche opposant des républicains et de cette amérique qui se replie sur elle même. Musicalement, c’est un très bon technicien, un leader incontestable, redoutable en rythmique. Ne t’attends pas à un solo transcendental du boss, sincèrement, il n’y en a pas. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui assure le show pour ça, il a deux guitaristes plus pointus que lui dans ce domaine. Je vous recommande vivement ce moment avec Tom Morello, guitariste et leader de Rage Against the Machine, où on voit le boss à la peine et prendre une leçon de guitare. L’admiration se lit dans ses yeux. Mais il n’en demeure pas moins que c’est un laborieux, un puriste musicalement. Tout est réglé à la virgule près et rien ne se produit sans lui. On pourrait facilement croire que c’est ce qui lui vaut ce surnom de « the boss »

[FR] : Il y a autant d’histoires sur ce surnom que de biographes. Pas une plus crédible que l’autre. Toujours est-il qu’il déteste cela. Chose certaine, ce surnom lui colle à la peau avant même son premier véritable album, sorti en avril 1972, le mois de ma naissance et qui est une tuerie absolue. Vendu à 20 exemplaires, c’est un bide total. Le deuxième en 1973 pas mieux. Et pourtant le rédacteur en chef du magasine Rolling Stones va écrire : « j’ai entendu le renouveau du Rock’n Roll ». Mieux il va tout lâcher pour devenir son manager. Ce n’est qu’en 1977, au prix d’efforts considérables que Bruce Springsteen va exploser avec l’album Born To Run. Aujourd’hui, il doit avoir une trentaine d’albums mais en concert, ce que tout le monde attend, ce sont ces trois premiers albums. Pourra t-il d’ailleurs faire mieux? Sur le plan personnel, le bonhomme aussi est intéressant: hygiène de vie irréprochable, loin des médias people, fidèle à son groupe comme à sa femme (sa violoniste) depuis des dizaines d’années. Il force le respect et sur scène, tu le ressens. Ma petite chronique s’achève mais j’espère vous avoir donné envie d’aller un peu plus loin, également au travers des liens que je vous ai sélectionné.