A l’heure de la tisane

Ses yeux d’un bleu délavé et l’esquisse d’un regard à peine ridé trahissent les interrogations qui hantent ses nuits. Il la fixe et cherche l’expression de leur amour passé pour se rassurer. Pendant que la bouilloire siffle, il rassemble ses pensées, comment lui dire sans la préoccuper ?

L’aîné a déjà pris son envol, il sera comme lui ouvrier. La benjamine, elle, n’est encore qu’une gamine.

Son regard plonge, absorbé par le choix des petits sachets colorés, une verveine aurait-elle raison des nuits sans sommeil ?

Elle lui sourit machinalement en feuilletant son programme télé. Les tasses s’entrechoquent, la jaune pour lui, pour elle, l’orangée. Elle le sait préoccupé et attend patiemment l’ondée. Alors que l’eau bouillante se déverse, une vapeur parfumée les enveloppe. La confiance qu’elle place en lui est infinie et désespérée, il était son pilier.

Les images qui se succèdent chaque soir sur l’écran ont remplacé les mots. Regarder pour ne plus parler.

Il boit bruyamment en fixant l’écran. Elle enserre sa tasse des deux mains pour se réconforter, la pluie va bientôt tomber.

Sur le buffet, près du canapé, les photos des jours heureux trônent : un mariage, deux enfants et des vacances à la mer tous les ans. Les images lui rappellent combien elle a vieilli, des yeux rieurs permettent parfois de réchauffer son cœur. Deux enfants et un emprunt immobilier, c’est tout ce qu’il pourrait lui laisser.

La première fois qu’il l’a croisée, elle lui a souri puis s’est dérobée. Les premières étreintes furent douces et timides, il s’est senti choyé et de nouveau adoré.

Voici des mois que le doute s’est immiscé dans ses pensées, il lui a d’abord paru préoccupé puis les absences se sont multipliées. La morosité du quotidien a laissé place à une paisible hostilité. Une vie c’est long pour aimer, elle serait prête à lui pardonner. Elle a bien surpris quelques messages enamourés mais avec le temps ça pourrait lui passer. Pour les enfants, elle peut tout envisager.

Partir ou rester, la question s’est longtemps posée. Partir ou mourir, ils ont cru choisir.