La « nouvelle » coopération est possible — Coopérative 3.0

in #blockchain6 years ago

La « nouvelle » coopération est possible — Coopérative 3.0

Analyse subjective d’un changement de paradigme en cours, qui pourrait bouleverser le rapport au travail, les modes de productions et de distribution.
Pourquoi pourrait-on voir exploser le milieu coopératif en France et dans le monde au cours des prochaines années ?

La coopérative agricole de Chatellerault

Quel lien pouvons-nous faire entre sociétés coopératives et technologies Blockchain ?

Dés lors que l’on prononce le mot « coopérative » apparaissent spontanément dans les esprits des images affiliées au milieu agricole, avec les coopératives d’agriculteurs, de producteurs, d’artisanat, etc. ou plus globalement assimilées de manière floue au monde de l’associatif.

Se dessine également l‘idée de mutualisation d’outils de productions, des tracteurs, aux silos à grains, ou diverses infrastructures de production industriels ou artisanaux mises en commun par des ouvriers et travailleurs pour exercer leur activité.

Voici une définition du Ministère de l’Économie du Québec :
Une coopérative est une personne morale regroupant des personnes ou des sociétés qui ont des besoins économiques, sociaux ou culturels communs. En vue de les satisfaire, elles s’associent pour exploiter une entreprise conformément aux règles d’action coopérative.

L’objectif d’une coopérative est de satisfaire certains besoins socioéconomiques communs de ses membres. Les membres d’une coopérative sont des propriétaires-usagers. En tant que propriétaires, ils assument ensemble les responsabilités liées à la propriété. Comme usagers, ils se procurent des biens et des services ou y trouvent un emploi.
À titre de membres, ils participent :

  • à la propriété
  • au pouvoir
  • aux résultats

Maintenant, gardons cela en base. Nous y reviendrons.


Économie Collaborative
Depuis quelques années, nos sociétés numériques ont vu naître ce que l’on appelle l’économie « collaborative ». De façon très concrète, « l’Uber-isation » des services est apparue, se traduisant par l’explosion de plateformes de mise en relation entre l’offre et la demande, proposées la plupart du temps par des start-ups érigées en « maîtresse » de l’avenir de nos modes de consommation, et de nos rapports au travail.

Les exemples sont nombreux et touchent tous les secteurs, qu’il s’agisse de la location d’un bien immobilier (Airbnb), d’un chauffeur (Uber, Blablacar…), mais également Deezer, Spotify, Youtube, et nous pourrions en citer des milliers.

Cette transformation des usages a été rendue possible par le développement technologique à la fois d’une infrastructure réseau en capacité de traiter cette explosion du nombre de requêtes (internet, par le biais de le fibre, l’amélioration des protocoles, des services web…) mais également par une accessibilité forte pour le grand public des « terminaux mobiles » (comme le disait mon professeur Mr André Ferré, en parlant des smartphones & ordinateurs).


Années de naissances d’acteurs majeurs — 1969 à 2018

Une passionnante mutation des usages d’internet, et plus globalement de l’économie a eu lieu sur une période relativement courte (20 ans !) et a érigé en maître un certain nombre d’acteurs devenus incontournable, si ce n’est tout-puissant dés lors que l’on parle d’internet.

Il se pourrait cependant que l’on soit à l’aube de nouveaux bouleversements, renversant toute la table des acteurs majeurs actuellement en place.

Une nouvelle vague pour les coopératives
Lorsque ce service, tenu par une entreprise privée (Uber, pour reprendre l’exemple) met à disposition de ses usagers son service, il en est l’unique décisionnaire, détenteur de l’intégralité des données, de l’évolution tarifaire de ce service, et de sa technologie.

C’est précisément ici que les technologies Blockchain prennent place, et n’ont pas dit bonjour. Développées en open source, on peut désormais imaginer la création d’un outil (plateforme, applications…) décentralisé qui permette à l’offre et à la demande de se rencontrer, sans qu’une entreprise privée n’ait obligatoirement de rôle dans cette mise en relation, et donc qu’elle ne prenne une commission potentiellement illégitime. (Coucou les chauffeurs Uber).

Attardons-nous une seconde sur le mot “décentralisé”.
Ce mot cache d’une part une vérité géographique :
Celle d’un réseau constitué de membres actifs issus de nombreux pays différents, et travaillant à distance sur un même projet.

Il comporte également une notion technique, dans la mesure où la sécurisation du réseau n’est pas assurée par UNE entité, ou entreprise, mais par l’ensemble d’un réseau distribué à travers le monde, et constitué de noeuds indépendants de l’entité fondatrice.
Un réseau décentralisé (nous devrions plutôt dire “distribué” dans la plupart des cas) ne concentre donc pas le “pouvoir” sur une entité qui deviendrait le tiers de confiance unique, mais attribue cette responsabilité par le protocole lui-même, à l’ensemble de la communauté qui administre le réseau.

Un écosystème peut désormais créer un outil commun (coopératif?) répondant à ses besoins, de son financement à son déploiement, en passant par sa maintenance, et se mettre d’accord sur son fonctionnement.

Communautés & Écosystèmes

Le monde des crypto-monnaies & technologies Blockchain est composé d’une diversité de profils issus de tous les bords politiques imaginables, et il serait insensé de tenter un étiquetage politique de ces nouvelles technologies.

Bien que le protocole Bitcoin soit né en pleine émulation du mouvement Occupy WallStreet, et qu’on puisse y voir une proposition radicale d’émancipation des systèmes financiers classiques, ces technologies viennent justement avec une transversalité quasi-parfaite embrasser violemment toutes formes d’idéaux politiques dés lors que chacun peut y construire un outil correspondant à ses besoins, ses usages, et y prendre librement une position qui lui correspond. C’est là, toute la puissance d’une technologie Open source, sa capacité à développer, améliorer, et enrichir une vision par et pour ses utilisateurs.

Lorsque j’analyse mes deux années passées au sein de communautés Blockchain, je ne distingue pas clairement UNE façon de penser le rapport au travail, et l’organisation sociale.

Ces communautés sont composées d’une multitude de contributeurs (développeurs, graphistes, traducteurs, traders, etc.) ceux-ci sont à la fois « clients » d’un outil, mais également « associés » dans la mesure où ils disposent de rétributions en « token » ou qu’ils en ont achetés pour en permettre le financement.
On pourrait tout à fait comparer cela à une part de la société coopérative.

Exemple :
Un hacker spécialisé en sécurité va travailler à la détection de failles potentielles sur une technologie Blockchain, les signaler et ainsi renforcer la confiance des usagers en celle-ci. Il peut à ce moment là être « remercié » ou rémunéré pour son travail, avec un montant X de ce token, qui peut prendre de la valeur dans les prochains mois, mais également s’effondrer. Il est donc en quelque sorte « associé » du projet, ayant un minimum de confiance en la vision partagée, et en l’outil communément développé. Il peut à tout moment décider de vendre ses tokens pour obtenir des dollars, ou autres.

Une nouvelle conception du travail apparaît :
Non seulement cette personne peut travailler à l’autre bout du monde, à l’heure qu’elle souhaite et comme elle le souhaite. Elle n’aura ni « supérieur » ni subalterne, et sera jugée sur ses précédentes contributions à la communauté, et le succès de ses réalisations.
Oubliez donc la notion de réseau d’influence, ou de CV qui faciliterait un recrutement, ici tout bonnement balayé par le concept simple de « Do-Craty », le pouvoir par le faire.

(Recommandation, le livre de Michel Lallement — L’âge du Faire — Hacking, Travail, Anarchie)

Au sein donc de ces communautés sont mis en place des outils de communication (Slack, RocketChat, Discord) ouverts à tous, et de travail collaboratif permettant le suivi des projets (GitHub, GitLab, Trello), l’avancement de ceux-ci, et l’accessibilité à l’information pour les nouveaux venus.

Voici également un exemple ici, d’un « tracker » de suivi d’un projet impliquant une équipe internationale de développeurs et une communauté qui souhaite suivre les avancées : www.ark.dog

C’est tout le rapport au travail qui en est bouleversé, voir explosé.
Une communauté internationale peut travailler de façon simultanée et décentralisée sur le développement de solutions, contribuer selon ses compétences à différentes tâches, et cela sans un système d’organisation nécessairement pyramidal.
Soyons lucides, il n’en supprime en rien la notion de leadership, mais elle naît ici la plupart du temps d’une légitimité liée à la compétence, et donc au code.
#NoBullshit est le maître mot, et aucun statut social ne fait la différence.

Dans l’ensemble, ces communautés actives sont composées d’hommes de 20 à 35 ans, techniciens du net (développeurs, hackers, ingénieurs, cryptotraders, etc.) mais également de profils non-tech souhaitant contribuer (graphisme, média, communication, traduction…). Généralement, la bienveillance est palpable et les profils experts restent disponibles pour répondre aux interrogations des novices.

Oui, il y a encore trop peu de femmes au sein de ces milieux, et c’est un des défis majeurs pour les communautés que de les convaincre qu’elles y ont pleinement leur place. Un article intéressant ici, traitant plus précisément de ce sujet et donnant la parole à quelques femmes du milieu.

Message à la communauté Ethereum lors de l’ETHCC Paris 2018 — ôÖ?

J’ai pu rencontrer des profils passionnants, d’anciens chercheurs et ingénieurs ayant quitté de grandes entreprises (et de très bons salaires) pour se mettre au service de ce type de communauté. La plupart d’entre eux justifiaient ce choix par l’un de ces trois arguments, ou les 3 :

  • La possibilité de gérer beaucoup plus sainement leur vie de famille, et une liberté totale d’organisation personnelle.
  • L’implication : Se sentir « membre » d’un projet, et pleinement intégré dans la vision de celui-ci et non simplement « salarié » soumis à un cadre de management lui indiquant les tâches.

Le dernier argument, venant juste après, est simple :
“J’ai le même salaire ! par la communauté de cette Blockchain… Et si mon travail est jugé bont, cela va se savoir et on peut rapidement augmenter les rewards/salaires. Puisqu’un nombre important de personne vont se servir de mon outil.”

Quel lien avec les statuts coopératifs ?

Le statut de SCIC : Société Coopérative d’Intérêt Collectif comporte dans son ADN une vraie compatibilité avec ces modes de fonctionnements impliquant le salarié ou l’usager au sein de l’organisation sociale, et du projet.

Celles-ci permettent d’impliquer à la fois des individus sous la forme d’associé.e.s, de salarié.e.s, de bénévoles, mais également des entreprises privées, les collectivités locales, ou encore des associations.

Ces différentes entités peuvent être rassemblées en « collèges de décision » par catégorie, permettant de pondérer et organiser une gouvernance démocratique de l’écosystème, tout en assurant à une équipe de direction de pouvoir développer sa vision originelle.

On peut donc avoir toutes les formes d’interactions avec celle-ci, dans la mesure où chacun va pouvoir s’y positionner selon son intérêt, et y contribuer librement (ou non).

La grande majorité des équipes ayant réalisé des ICO (Initial Coin Offering* ou levées de fonds en crypto-monnaies) sont à ce jour constituées en fondation, et généralement basées en Suisse.
Il s’agit du statut identifié comme le plus apte à recevoir des financements (vente de tokens) et le cadre juridique le plus simple pour développer une technologie dans une démarche disruptive et complexe.

Ce qui en soit peut s’expliquer par une chose très basique :
Très peu d’avocats des milieux tech & Blockchain dispose d’une expertise sur les statuts d’Économie Sociale et Solidaire (SCIC, SCOP, et autres) et de leurs spécificités. Ils ont donc naturellement orienté leurs clients vers des statuts qu’ils identifiaient comme « habituels » dans les secteurs technologiques.
Les autres projets Blockchain ont ensuite emboîté le pas.

À mon sens, il est passionnant d’observer qu’une coopérative constituée en SCIC et historiquement très peu liée aux technologies, peut permettre d’établir un cadre de gouvernance adapté, correspondant aux valeurs de ces communautés se voulant « ouvertes », et impliquant une diversité d’acteurs.

Les seuls (à ma connaissance) a avoir été bien conseillés, et à avoir décelé que ce statut était adapté à leurs activités sont l’équipe de la Blockchain ARK Ecosystem, constituée en SCIC en novembre 2017, et immatriculée en France. (ark.io)

Pour finir, il est à mon sens important de soulever qu’une génération entière réinvente pas à pas son rapport au travail.
Poussés (ou attirés) vers des statuts d’auto-entrepreneurs parfois précaires, et que nous pouvons imaginer dans quelques années voir apparaître de nouveaux besoins pour ces nouveaux travailleurs, qu’ils soient “digital nomades”, ou juste travailleurs indépendants.

Le développement du marché des co-working est une des nombreuses preuves qu’à l’avenir, les travailleurs souhaitent pouvoir garder une mobilité, une liberté dans l’organisation de leur vie professionnelle, et que dans ce cadre ils ont besoin de coopérer, mutualiser, avec leurs pairs.

Penser que les start-ups vont s’en charger, pourquoi pas, mais alors nous prendrons le risque de schémas similaires à celui d’Uber et de ses chauffeurs, et de perdre le contrôle si l’intermédiaire n’est pas de confiance.

Je pense intimement qu’il est temps de donner aux milieux coopératifs les moyens opérationnels de son développement à grande échelle, avec des outils ouverts permettant l’intégration de toutes formes de parties prenantes, des collectivités aux usagers.

Le monde de l’Économie Sociale et Solidaire a tout intérêt à ouvrir grand les yeux et les oreilles pour comprendre rapidement que les technologies Blockchain sont peut-être l’outil répondant de façon concrète aux besoins des citoyens dans les années à venir.

Quant au « milieu de la Blockchain » , il ferait bien de faire lui aussi tomber les clichés habituels sur les coopératives, et d’aller à la rencontre des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire pour en comprendre l’adn et ses valeurs.
Il pourrait y trouver un allié de taille.

Certes, il y a du chemin pour que ces deux mondes puissent parler le même langage… (informatique?) Mais c’est justement là, la force de leurs complémentarités potentielles.
Il se pourrait que le contexte technologique, l’ère du temps, et les valeurs attendues par les prochaines générations, soient en faveur de ces statuts coopératifs, encore dans l’ombre à ce jour.

Et si les grands acteurs de demain étaient des coopératives décentralisées ?

Finalement, un statut d’entreprise, n’est-ce pas qu’une forme de code ?
Les coopératives arrivent… Elles préparent juste une grosse mise à jour.


Pour plus d’informations sur les projets de l’auteur et de Samouraï Coop :

→ www.osmosecollective.com
(Blockchain d’Économie Sociale et Solidaire)

→ www.samourai.coop
(Société de production coopérative)

Bonus : Qu’est-ce qu’une coopérative en 2 minutes :


zôÖma pour Samouraï Coop, posté le 13 juin 2018 sur Medium.

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