[FR] Les cryptomonnaies contre l'autorité - Partie 3/3 : La liberté cryptomonétaire

in #cryptocurrency7 years ago

Pour lutter contre tous les inconvénients liés aux monnaies fiat (inflation, démonétisation du liquide, ponction des comptes bancaires), la solution optimale a longtemps été de détenir des métaux précieux en tant que valeur refuge. Bitcoin a changé la donne. Les cryptomonnaies sont devenues des alternatives sérieuses en cas de crise monétaire. Elles permettent de conserver de la valeur à l'abri des actions du gouvernement. Elles donnent aux individus dépourvus de comptes bancaires la possibilité d'être leur propre banque à condition de posséder un smartphone et un accès à Internet. Elles anéantissent les frontières : chacun peut envoyer des fonds de façon quasi-instantanée à l'autre bout du monde sans autre coût que les frais de transaction (qui sont ridicules par rapport aux diverses taxes prélevées dans les échanges internationaux).

Bitcoin a redonné espoir à tous ceux qui chérissent la liberté, et pour cause : il a un biais idéologique très marqué, ayant été conçu pour échapper à l'autorité de l'État et des banques centrales. Véritable prouesse technologique, Bitcoin constitue une défiance envers un système monétaire qui marche sur la tête. La date de sa mise en pratique est de fait très symbolique : elle fait suite à la crise des subprimes aux États-Unis, celle-là même qui a engendré la crise économique globale de 2008.

seagull

Le protocole Bitcoin a été imaginé par des crypto-anarchistes (aussi appelés cypherpunks), c'est-à-dire des personnes qui s'opposent au contrôle gouvernemental de l'information sur le web et qui préconisent des moyens cryptographiques pour y remédier. Comme Jacques Favier et Adli Takkal Bataille l'indiquent dans leur ouvrage Bitcoin, la monnaie acéphale :

Bitcoin [a été] conçu par et pour gens opposés à l'autoritarisme des gouvernements, refusant la censure et la possibilité de censure, refusant la surveillance de masse, souhaitant conserver la propriété de leurs données personnelles, pensant que pour cela l'anonymisation de leurs correspondances, de leurs données et de leurs transactions est un droit, que les logiciels libres sont plus sûrs que les logiciels propriétaires, aux sources fermées, et qu'une monnaie libre par rapport aux États et aux banques est une chose désirable et utile.

L'idée d'un « internet de la monnaie » n'est pas nouvelle dans le milieu. Comme partout dans le monde de la recherche, Satoshi Nakamoto s'est inspiré grandement des projets antérieurs. Nous pouvons citer le Hashcash d'Adam Back (1997), la b-money de Wei Dai (1998), et le Bitgold de Nick Szabo (2005), reconnus comme étant des précurseurs du bitcoin. Satoshi Nakamoto cite d'ailleurs le papier de Wei Dai dans le livre blanc de Bitcoin, Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System.

Chose fascinante à propos de Bitcoin : tout le monde ignore l'identité réelle de son inventeur, Satoshi Nakamoto n'étant qu'un pseudonyme pouvant désigner une personne ou un groupe de personnes. Encore plus fou : il a très vite cessé d'intervenir dans l'évolution de son invention. Ainsi, contrairement à d'autres protocoles cryptomonétaires comme Litecoin, Ethereum ou Dash, Bitcoin n'a pas meneur qui serve de figure principale, même si certaines personnalités s'imposent plus que les autres. Le bitcoin est une monnaie acéphale (littéralement « sans tête »), ce qui ne fait que renforcer son biais anarchisant.

Les cryptomonnaies sont aussi conformes aux idéaux libéraux de liberté, de propriété et de responsabilité. Tout d'abord elles offrent une libération du monde de la monnaie qui est, comme nous l'avons aperçu, dominé par des entités telles que les banques et les gouvernements. En 1976, dans Pour une vraie concurrence des monnaies, Friedrich Hayek proposait d'ailleurs l’établissement d’une liberté monétaire et bancaire totale, qui se traduirait notamment par l’émission concurrentielle de monnaies distinctes. Les cryptomonnaies représentent un facteur de libre échange à l'échelle de la planète : il devient très difficile d'empêcher une personne d'initialiser une transaction, même si cette transaction est « prohibée ». Elles garantissent informatiquement la propriété des fonds d'un utilisateur, le vol étant pour ainsi dire impossible. De cette propriété absolue, découle une responsabilité : tout utilisateur peut être privé de ses fonds en cas de mauvaise manipulation ou de perte des clés de portefeuille. Cette responsabilité contraste avec le système actuel où votre banque vous rembourse lorsque vous vous faites voler votre carte de crédit, et où chaque site web vous propose de restaurer votre session avec votre adresse mail en cas de perte de votre mot de passe.

Bitcoin est une invention radicalement hostile à l'autorité, rejettant non seulement la censure, la surveillance et plus généralement le contrôle de l'information, mais aussi et surtout l'intervention gouvernementale dans l'économie. Cette radicalité, les médias de masse l'évoquent dès qu'ils parlent de Bitcoin : la cryptomonnaie facilite les échanges illégaux, le trafic de drogues et le financement du terrorisme islamiste. La cryptomonnaie est foncièrement une mise en pratique anarcho-capitaliste et il est dans l'ordre des choses qu'elle soit utilisée dans le cadre du marché noir ou du marché gris. Car, après tout, qu'est-ce que le marché « noir » si ce n'est le marché libre, exempt de toute taxe et de toute réglementation administrative ? De fait, le bitcoin a longtemps été la monnaie du dark web, célèbre pour avoir été utilisé sur la plateforme Silk Road, avant d'être remplacé par des monnaies plus confidentielles comme le monero ou le zcash.

En donnant aux utilisateurs la capacité d'éviter l'impôt, les cryptomonnaies constituent un instrument de lutte directe contre l'État. En France, la place occupée par l'État (au sens général) est imposante et ne cesse de croître : l'ensemble des prélèvements obligatoires est passé de 33,6 % du produit intérieur brut en 1965 à 45,5 % en 2014. Les cryptomonnaies entraîneraient la réduction la pression fiscale par le bas, en permettant aux citoyens qui les utilisent (je pense notamment aux commerçants) de ne pas déclarer tous leurs revenus (comme cela se fait habituellement avec le liquide). En cas d'adoption de masse d'une cryptomonnaie, la souveraineté monétaire rendue aux individus pourrait possiblement faire reculer le pouvoir étatique, en l'obligeant à s'adapter à cette évolution. C'est dans cet esprit que le prix nobel Milton Friedman affirmait dans une interview en 1999 :

Je pense qu’Internet va devenir une des forces majeures qui va diminuer le rôle des gouvernements. La seule chose qui manque, mais qui sera développée bientôt, est une solution fiable de cash électronique.

Outre l'aspect monétaire, Bitcoin pourrait être à l'origine d'une liberté bien plus vaste. La technologie derrière le protocole, appelée par une métonymie un peu étrange « technologie blockchain », pourrait en effet révolutionner certains secteurs de l'économie nécessitant l'existence de tiers de confiance comme le notariat. Nous pouvons déjà le constater dans le monde cryptomonétaire : en servant de modèle, Bitcoin a provoqué une vague créative et certains protocoles se sont spécialisés pour remplir d'autres tâches que le paiement. Dans ce cas, le jeton n'est qu'une incitation à authentifier la chaîne de blocs et n'a pas vocation à devenir une monnaie réelle : il faudrait plutôt parler d'actif numérique. Ethereum est le parfait exemple de ce type d'usage : le protocole se présente comme une plateforme décentralisée qui exécute des contrats intelligents et qui permet le déploiement d'applications décentralisées. Citons également Steem qui est un réseau social récompensant ses utilisateurs ; Sia qui est un projet de stockage décentralisé des données ; et BitBay qui souhaite devenir une plateforme de marché permettant d'échanger des choses de manière sécurisée (souvent présenté comme un eBay décentralisé). L'innovation technique de la chaîne de blocs, amplifiée par la liberté des initiatives et la facilité d'investissement, pourrait bien changer la face du monde.

Néanmoins, je pense qu'il est judicieux de s'attendre à une contre-attaque de l'empire. Certains pays pourraient fortement restreindre voire interdire l'usage des cryptomonnaies, ce qui influencerait les bons citoyens qui respectent scrupuleusement la loi, même s'il serait facile de contourner la loi, comme l'est aujourd'hui le téléchargement illégal. D'autres États choisiraient peut-être d'utiliser la technologie de Bitcoin pour créer leur propre cryptomonnaie semi-centralisée : un euro numérique régi par l'Union Européenne pourrait ainsi voir le jour. L'imagination des législateurs quand il s'agit de taxer et de réglementer une innovation technique est sans limites.

Les cryptomonnaies représentent un tour de force technique sans précédent. De par leur existence, elles nous poussent à nous intéresser à ce qui fonde la valeur de la monnaie que nous utilisons, et à réaliser à quel point nous faisons confiance au système bancaire actuel. Le XXème siècle a largement été dominé par les monnaies fiat et par l'inflation qui en résulte. Il est possible qu'il n'en soit pas de même pour le XIXème siècle. Si les cryptomonnaies fascinent tant, c'est en raison de leur caractère subversif et de leur potentiel de libération. Elles exacerbent le sentiment de défiance que tout individu normalement constitué ressent pour l'autorité, et sa propension à vouloir s'émanciper de la tutelle qui lui est imposée. C'est l'une des raisons pour lesquelles je pense que cet engouement pour les cryptomonnaies ne cessera de croître au cours des années, jusqu'à qu'elles deviennent des monnaies à part entière pour le commun des mortels.

Lug Axker.



AUTRES PARTIES

Partie 1/3 : Monnaie et cryptomonnaie
Partie 2/3 : Le règne des monnaies fiat
Partie 3/3 : La liberté cryptomonétaire

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Je viens d'écrire un article faisant écho à ton post :
5 publications to understand how blockchain technology could supplant governments and nations
Bonne lecture aux intéressés :)

Encore un excellent article, merci. Je souligne l'erreur a la fin Il est possible qu'il n'en soit pas de même pour le XIXème siècle Il faudrait remplacer XIX par XXI je suppose.

Merci. Oui bonne remarque mais je ne peux plus modifier l'article sur Steemit : la faute restera à vie sur la blockchain ;)

C'est pas bien grave j'imagine les gens comprendront :)

Excellent billet ! Je le resteem ! Merci pour cette synthèse

Merci beaucoup!

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