Le symbolisme des plantes
« L’homme est une plante céleste, ce qui signifie qu’il est comme un arbre inversé, dont les racines tendent vers le ciel et les branches en bas vers la terre », Platon (Timée 90a).
Pour la tournure d’esprit traditionnelle aujourd’hui oubliée, l’environnement naturel tout entier se présentait comme un symbole vivant, tous les règnes et les espèces biologiques étaient perçus en tant que vestiges physiques de modèles-types métaphysiques : le monde terrestre, aux yeux des Anciens, était la réplique matérielle, contingente et périssable, d’un supra-monde archétypal, immuable et parfait.
Nous adopterons dans ce court article la même vision analogique des choses, et nous nous pencherons plus particulièrement sur le monde végétal qui, par sa forme et sa substance, offre à notre entendement de nombreux enseignements sur l’homme et l’univers.
On rappellera simplement que toutes les traditions humaines ont largement utilisé le symbolisme végétal afin de délivrer des vérités tant microcosmiques que macrocosmiques ; songeons simplement aux célèbres archétypes de l’« Arbre de vie », de l’« Arbre du monde », de l’« Arbre de la connaissance », de l’« Arbre de justice », du « jardin paradisiaque », de la « plante d’immortalité », des divers fleurs et fruits symboliques, ou encore de l’« Arbre inversé » (symbole bien connu de l’hindouisme, du bouddhisme, des penseurs grecs, du judaïsme, de l’ésotérisme islamique et des troubadours médiévaux).
Tout d’abord, penchons-nous sur la question philosophique de la graine, qui correspond au principe premier de la plante et qui contient celle-ci, enveloppée, à l’état potentiel. Ainsi, voit-on que le rapport de la plante et de sa graine répond explicitement au rapport du manifesté (ou de l’exotérique, ce qui est en acte) et du non-manifesté (soit l’ésotérique, ce qui est en puissance). Par cet exemple naturel concret, on peut comprendre immédiatement que tout être provient du non-être, que le visible tire son origine de l’invisible.
Du reste, la graine du végétal ou le noyau du fruit se présente à nous comme l’image adéquate de l’unique « Centre » originel ; c’est le point principiel qui donne sa réalité à toute chose, l’Un qui produit tous les nombres, l’Esprit qui se trouve en amont de la matérialité, l’Unicité divine à la base de toute la manifestation universelle. Au niveau individuel, la graine incarne notre « Double » céleste, notre « Ange », notre « Nom » divin, c’est-à-dire notre unité personnelle, intemporelle et non-changeante, située en Dieu.
Aussi, pour que le végétal prenne naissance, la graine nécessite un enfouissement dans la terre et un arrosage régulier. Du point de vue de l’être humain, l’apport de la terre et de l’eau symbolise respectivement le revêtement d’un corps et d’une âme, ce qui est la condition d’existence sine qua non à toute individuation manifestée.
A l’image du poussin qui sort difficilement de l’œuf en brisant la coque, la naissance de la plante suppose une certaine violence et a lieu lorsque le germe casse la paroi de la graine : ce processus signifie le passage de l’unité à la multiplicité, du caché à l’apparent, sachant que toute naissance à un nouvel état suppose corrélativement la mort à un ancien état. Par comparaison, nous sommes là en présence des symboles bien connus de l’expulsion du Paradis, de la sortie de l’Âge d’or, ou de ce que les kabbalistes dénomment « la brisure des vases ».
A cet égard, on ne peut que rappeler ces deux paraboles christiques très célèbres : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean XII, 24), et, « Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand il a poussé, il est plus grand que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches » (Matthieu XIII, 31-32).
De même, la forme extérieure axiale de la plante nous renseigne un peu plus sur l’être humain et sur sa destinée. En effet, comme on l’a dit précédemment, si la terre marque la condition matérielle et l’eau le psychisme, nous constatons également que la plante croît en direction du ciel et se nourrit de la lumière solaire. Cet héliotropisme peut être comparé à la spiritualité et à la quête de la lumière divine propres à chaque homme ici-bas ; dès lors, la plante, poussant de la terre au ciel telle l’échelle de Jacob, est donc une fidèle image de la vie religieuse (de religare : « relier ») et plus spécialement, nous renseigne sur la dure voie ontologique ascendante — le « chemin vertical » — que tout homme doit suivre durant son existence terrestre afin de sauver son âme…
Dans un registre similaire, notons aussi que plus les racines s’enfoncent profondément dans le sol plus la plante sera haute, vigoureuse et verte (couleur de la renaissance et de la jouvence éternelle). De la même manière, plus son degré de force intérieure, de connaissance et d’amour sera profond, plus l’être humain sera droit, épanoui extérieurement et « portera de beaux fruits » auprès de ses prochains. Ainsi, pour faire bref, plus l’homme se connaît lui-même, plus il monte les échelons dans la hiérarchie des états supérieurs de l’être (ce qui correspond à l’étagement des branches et au feuillage de la plante où vont se nicher les oiseaux). En ce sens, nous avancerons que les racines profondes s’apparentent à « l’homme intérieur » et la plante visible à « l’homme extérieur », pour reprendre le vocable de Saint Paul.
D’ailleurs, remarquons que les fruits des végétaux sont porteurs des germes qui donneront à leur tour ultérieurement de nouvelles plantes : il y a là le symbole parlant de la transmigration des âmes humaines — mais surtout pas de la réincarnation, qui est une pure hérésie intellectuelle, puisque la plante issue de la graine ne revient jamais à son état antérieur comme toute chose en ce monde mouvant et changeant — qui à leur mort passent nécessairement d’un état d’être à un autre.
Citons à ce sujet cette phrase fulgurante de R. Guénon extraite de L’erreur spirite (chap. VI) : « C’est ainsi que l’homme peut être comparé au gland et au chêne : l’âme embryonnaire, non individualisée, devient un homme tout comme le gland devient un chêne, et, de même que le chêne donne naissance à une quantité innombrable de glands, de même l’homme fournit à son tour à une indéfinité d’âmes les moyens de prendre naissance dans le monde spirituel ».
Nous terminerons ce petit tour d’horizon en soumettant à la sagacité de nos lecteurs cette épineuse énigme, digne de celle de la poule et de l’œuf : puisque chaque végétal provient d’une graine portée par l’un de ses prédécesseurs, qui fut le planteur de la toute première graine ?