Le moi et le Soi

in #tradition7 years ago (edited)

« Fais monter le soi par le Soi, ne laisse pas le soi s’appuyer sur le dos de la chaise. Car, en vérité, le Soi est à la fois l’ami et l’ennemi du soi ; l’ami de celui dont le soi a été conquis par le Soi, mais avec celui dont le soi n’a pas été vaincu, le Soi est en guerre et, ma foi, se comporte en ennemi. », Bhagavad-Gîtâ (VI, 5-6).

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Tous les textes sacrés et l’intégralité des enseignements traditionnels affirment en substance que l’être humain est composé d’un corps, d’une âme et d’un esprit (corpus-anima-spiritus ou soma-psyché-pneuma), de la même manière que les peuples archaïques — qui établissaient la comparaison entre l’anthropos et le cosmos — disaient que la terre figurait le corps, la lune le mental, et le soleil le Soi éternel. Nous laisserons de coté dans cet article la partie corporelle qui correspond à la matière inerte (et qui est le sujet d’étude de la science biologique) et nous nous intéresserons uniquement à la relation du psychique et du spirituel.

Aujourd’hui, à l’heure de la confusion intellectuelle généralisée, les mots « âme » et « esprit » sont totalement incompris au point d’être considérés comme des synonymes, et sont utilisés indifféremment pour désigner des réalités tout à fait différentes et divergentes. Nous tenterons brièvement de mieux caractériser ces deux concepts fondamentaux en prenant pour référence la philosophie des Anciens.

Celle-ci a partout et toujours posé l’axiome suivant : l’homme, dans son intériorité, est un être double, partagé entre son moi périssable et le Soi immuable, entre son ego contingent et l’Être universel, entre son âme et l’Âme de l’âme, entre le sensitif et l’intellectif. En ce sens, on peut dire simplement que l’humain s’apparente à un animal angélique ou à un ange animalisé : « deux sont en l’homme » (duo sunt in homine), il y a l’Homme et cet homme, ainsi que l’enseignent à l’unisson toutes les doctrines traditionnelles.

Le grand penseur pérennialiste Ananda K. Coomaraswamy écrivait à cet égard : « Toute notre tradition métaphysique, chrétienne ou autre, affirme qu’il y a « deux en nous », cet homme et l’Homme dans cet homme. Qu’il en soit ainsi, cela fait partie intégrante de notre langage où, par exemple, l’expression « contrôle de soi » implique qu’il y ait quelqu’un qui contrôle et un sujet qui soit contrôlé, car nous savons que « rien n’agit sur soi-même » » (La signification de la mort, Archè, 2001, p. 79). Le feu brûle mais n’est pas maître de sa fulgurance…

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Ainsi donc, l’âme basse, c’est-à-dire notre « je » terrestre, notre ego qui reste dans la tombe, ne représente qu’un moule transitoire dans lequel l’Esprit divin s’est logé ; du reste, il est bien dit dans la Genèse biblique que l’homme se présente comme une poignée de terre animée par le Souffle de Dieu (Ruah Elohim). Notre composé psychosomatique n’est donc qu’un simple « avoir » en transit ; cela faisait dire à Maître Eckhart que : « Ego, le mot Moi, n’est propre à personne si ce n’est à Dieu dans son ipséité ».

C’est dans la même perspective qu’il faut comprendre les célèbres mots de Saint Paul qui déclarait que ce n’était pas lui qui parlait, mais le Christ en lui. Le mystique Jacob Boehme s’écriait pareillement : « Ce n’est pas moi, le moi que je suis, qui connaît ces choses, mais Dieu en moi ». Un aphorisme soufi invite l’homme à prendre pour maître spirituel une gouttière car celle-ci lui indique bien que s’est en demeurant droit et vide que l’eau divine pourra couler à travers lui…

Sans cette étincelle divine qui ne lui appartient pas, l’homme ne serait qu’un pur néant ; en conséquence, qu’il le veuille ou non, chaque être ici-bas naît forcément musulman : soumis à Dieu. Platon, dans un esprit similaire, comparait l’homme à une vulgaire et illusoire marionnette, ne devant sa réalité qu’au fil de l’Esprit tenu par le grand metteur en scène de l’univers.

Dès lors, il est facile de s’apercevoir que le psychisme inférieur, lié aux besoins du ventre et du bas-ventre, continuellement préoccupé par ses passions et ses ressentis affectifs, constitue notre propre Satan intérieur — qui on le sait est « légion », « trompeur », « diviseur », « adversaire », « tentateur », « singe de Dieu » — laissant croire fautivement à la créature humaine qu’elle est indépendante de son Créateur, comme si la partie se croyait indépendante du Tout, comme si la circonférence du cercle se croyait indépendante de son Centre…

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Cela explique pourquoi l’ensemble des récits traditionnels invite l’homme à tuer, à perdre ou à apprivoiser son moi s’il veut « sauver son âme » et ainsi retrouver sa glorieuse origine, supra-individuelle et supra-terrestre. Comme tout héros légendaire, l’homme doit donc « terrasser le dragon » ou « chevaucher le tigre », soit réparer le péché originel en luttant vaillamment contre l’antique serpent, afin de réintégrer le Paradis et l’état primordial adamique.

De fait, tout être humain digne de ce nom est dans l’obligation de « se connaître soi-même », « mourir à lui-même », « se maîtriser soi-même », « séparer le subtil de l’épais », prendre conscience qu’il ne représente qu’un masque (tel est le sens du latin persona) passager de l’Unité immuable, dompter la « Bête » qui sommeille en nous. Les hindous utilisent l’image explicite du Soi, impassible sur son char (le corps), tenant les rênes du mental et guidant fermement ses fougueux chevaux (les puissances inférieures de l’âme).

Il convient donc de s’autosacrifier afin de renaître ; « Aide-toi et le Ciel t’aideras », dit plus simplement le proverbe…

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