Des requins, des dragons et des hommes…

in #nature4 years ago (edited)

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Un très joli titre pour parler des prises accessoires…

On en a tous entendu parler, les pêches (industrielles en particulier) n’attrapent pas que les prises désirées, mais aussi des espèces protégées, ou des espèces jugées sans intérêt (commercial ou aux yeux du grand public).
La pêche à la palangre a lieu en pleine mer, en plein habitat des espèces pélagiques. On place des appâts, et les espèces sont nombreuses à y mordent. Les espèces accessoires, on en tous entendu parler. Nous sommes nombreux à avoir vu les articles de Sea Sheperd, le travail du laboratoire Pelagis en France, le nombre de dauphins capturés, les photos des carcasses lacérées par les filets.

Embarquer à bord de palangriers

apporte une nouvelle dimension sensorielle : mes muscles se tendaient à chaque tressautement des poissons jetés contre la coque, jusqu’à ce qu’enfin, mort ou vivant, ils libèrent l’hameçon. Mes yeux les ont suivis, le bateau s’éloignant de leur corps flottant. Il n’y a plus de filtre médiatique : on voit toutes les prises, et bingo, il y en a beaucoup.

La pêche palangrière, est faite en pleine mer, en plein habitat de nombreuses espèces pélagiques.

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On met des lignes appâtées en plein dans le salon, et on s’étonne d’avoir de tous les habitants, pris sur les hameçons.

Prenons l'exemple du Pacifique Ouest, dont la description de la pêche est ici, parmi les prises non désirées, on retrouve:
• beaucoup de requins et de raies pélagiques.
• de nombreuses prises indésirées parmi les poissons :
il y a beaucoup d’escoliers (qui provoquent des intoxications, des diarrhées, d’ailleurs), de barracudas (ils sont beaucoup plus beaux que la culture populaire nous laisse imaginer), des thons juvéniles, des lophotes, et beaucoup de « dragons », des voiliers et des lanciers.

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• parfois des oiseaux (qui attaquent les appâts depuis la surface), rarement des cétacés.

Et tout ça… est-ce vraiment un problème ?

OUI.

sur plusieurs plans, à différentes échelles, avec de grandes marges d’incertitudes, car nous parlons d’océans immenses et opaques, peuplés d’espèces dont nous connaissons mal la biologie.

Ces captures ont des conséquences sur les individus capturés,

même s’ils sont relâchés correctement.
Elles varient selon les espèces, les dragons sont par exemple très vulnérables à l’hameçon (leur mâchoire s’arrache très facilement pendant la remontée de la ligne ou pendant la relâche)). Mais, le principal problème, toute espèce confondue, est le changement de pression. Les prises sont remontées depuis 200-400 mètres de fonds en quelques instants : leur vessie natatoire peut gonfler (qui leur permet de jouer sur leur profondeur dans l’eau), jusqu’à sortir par leur bouche, et ils ne pourront redescendre (et donc vivre). Les organes internes peuvent être endommagés par le choc barotraumatique, ou par la remontée mécanique (les requins par exemple, n’ont pas de squelette interne rigide qui maintiennent leurs organes, entrainant des lésions pendant la remontée à la verticale, certaines espèces de requins survivent mieux que d’autres, comme le requin peau-bleue). Les animaux peuvent aussi s’asphyxier, s’enrouler autour de la ligne.

Une grande partie de ces captures sont mal relâchées :

on les blesse pour récupérer le matériel (on arrache l’hameçon, parfois en blessant l’animal, le découpant, ou le tuant), on les laisse à bord, on les jette à l’eau à coup de pied.

Ces captures et relâche d’individus ont des conséquences sur les populations.

D’abord, les juvéniles capturés ne rejoindront pas les reproducteurs et renouveler la population, les gros adultes reproducteurs ne se reproduiront plus (chez les poissons comme les marlins, ils sont d’abord mâle, puis deviennent femelle, les plus grands individus sont dons les femelles pondeuse). Ces conséquences varient aussi selon les espèces : certaines ont de fort taux de reproduction (les petits poissons, se reproduisent plus régulièrement et produisent plus de petits) et le prélèvement raisonnable d’individus peut avoir un impact relativement faible, d’autres se reproduisent peu (les requins, les cétacés) et prélever des individus affectera fortement les dynamiques de populations. Les conséquences sont encore plus grandes sur les espèces en danger d’extinction (comme des espèces de requins surpêchées, ci-dessous le requin pointe-blanche océanique), qui ont peu de populations et peu d’individus.

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Il faut aussi rappeler que la pêche est un métier dangereux,

et que ces prises indésirables (et toutes les autres) peuvent l’être : les raies pastenagues peuvent piquer, tous les poissons et requins peuvent mordre et blesser de violents coups. Eviter ces captures, et éviter à avoir à relâcher ces animaux, est bénéfique.

Les pêcheurs ont aussi leurs responsabilités individuelles dans la gestion des prises indésirables.

Bien sûr, la législation et l’encadrement des directions des pêches (ou des armateurs) est vital. Toutefois, sur le bateau, ils sont les seuls à pêcher et à rapporter leurs captures (il y a des suivis par les observateurs des pêches, mais ils sont très faibles, en Polynésie par exemple, ils représentent 5% des hameçons). Ce suivi est très important pour ensuite estimer la taille des populations et les impacts de la pêche…

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Le suivi imposé est insuffisant.

Les directions des pêches n’exigent pas toujours le rapportage de toutes les espèces (ex. des poissons sans intérêt commercial, ou des juvéniles relâchés), de leur état à la capture et relâche (savoir qu’un requin a été capturé vivant, relâché mort, n’est pas la même information qu’un requin relâché, nous en conviendrons), ou d’informations sur leur biologie (le sexe, ou la morphologie qui indique l’âge).

Et le suivi réalisé l’est encore plus.

Les pêcheurs doivent fournir du travail en plus, pour rapporter les espèces sans intérêt commerciale (sans intérêt direct pour eux donc), ils ne notent correctement ni les espèces (s’ils savent les identifier), ni le nombre d’individus capturés.

Donc… nous disposons de très peu d’informations robustes sur l’état des populations, même si les informations rapportées par les capitaines peuvent être comparées avec les données des observateurs ou des campagnes de pêche scientifique.

Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Nous devons réfléchir et se parler.

Il faut redéfinir nos biens communs et notre gestion, avec les pêcheurs à bord (ils sont en général exclus des décisions, au parlement, aux commissions internationales...). Nous devons discuter des mesures à prendre et de leur utilité, sinon les pêcheurs n’auront pas d’intérêt à les appliquer.

Et il va falloir imposer.

Il faut en faire une priorité législative et dans les directions des pêches. Les plus grandes commissions de gestion des pêches internationales (où plusieurs états s’imposent des règles communes de suivi et gestion des pêches, comme la WCPFC dans le Pacifique, la ICCAT pour les thons de l’Atlantique, etc) ont fixé des règles de relâche et d’interdiction d’utilisation, mais seulement pour quelques espèces (requins océaniques, raie manta, cétacés, tortues). Il faut continuer cet effort, en plus d’initiatives nationales, il faut donner et exiger des moyens de suivi de ces mesures restrictives. Les états doivent assurer la formation des pêcheurs pour participer à la gestion de nos biens communs, dans le respect de leur profession, les former aux fonctionnements écosystémiques et à l’impact de la pêche, leur apprendre à relâcher les prises.

Les pêcheurs doivent être écoutés :

ils connaissent la mer et leur matériel. Les visions des pêcheurs et des scientifiques sont parfois à l’opposé, certains des savoirs sont à débattre, mais les expériences de la mer sont aussi pleines de secret, comme donner la diarrhée au requin, fabriquer des détaches hameçons, éviter les zones à pastenagues…

Et enfin, il faut changer. Abandonner la pêche industrielle, les 80km de ligne dérivante, les filets sans aucune sélectivité, l’opacité de la pêche. Vous pouvez suivre le travail de Bloom, pour soutenir la pêche artisanale et savoir vers quelles espèces de poissons vous orienter pour votre consommation.


Toutes les photos sans crédits explicites sont miennes, plus par ici.
Pour des histoires de pêches, d'araignées et autres captures, mes articles sont ici.

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