Copie Conforme p.20

– Frautmich Joseph, ich heiβe Claude Cyriltochter.

Il semblait attendre quelque chose, mais rien ne se produisit, sauf un malaise que Joe voulut tout de suite dissoudre en serrant la main de son nouvel ami. De cet homme émanait un mélange de familiarité et de noblesse. Au bout de la troisième remarque sur la beauté de Tanger la nuit, Claude s’arrêta.

– Je vois que vous connaissez peu cette ville…

Il prit le bras de Joseph et ils traversèrent le boulevard. Ils étaient déjà arrivés à l’hôtel. Près de la réception, un petit chariot de bagages attendait patiemment Claude.

– Je vais monter à ma chambre, déjeunons demain si vous le voulez bien, je vous ferai visiter la ville.

Claude prit congé de Joseph à la réception. Étrangement, Joseph n’était plus fatigué, mais au contraire excité par la rencontre de ce mystérieux personnage. Ainsi, une fois dans son lit, il ne trouva pas le sommeil. Il avait besoin d’écrire. Une fois qu’il aurait mis tout ça sur papier, il se sentirait mieux. Mais par quoi commencer ? Par maintenant ? Par sa rencontre avec Cyriltochter? Par la prostituée ?

Le lendemain matin, Joseph fût réveillé par l’entrée abrupte dans sa chambre d’un collègue en costume trois-pièces gris, légèrement bedonnant. Il fila à travers la pièce pour ouvrir les rideaux.

– Il est neuf heures Joe, you missed breakfast et la conférence va débuter dans dix minutes.

– God damn it, Cam, laisse-moi dormir, supplia Joseph en se cachant la tête sous les couvertures.

Cameron Crow était l’assistant et, depuis peu, la nourrice de Joseph. Cameron connaissait bien les mauvaises habitudes de son ami. Ils s’étaient connus à l’université. Mutter étudiait le journalisme à McGill, mais ils s’étaient rencontrés par un ami interposé à l’Université de Montréal. En cinq ans, il avait eu la chance de le tirer de toutes sortes de situations et cela avait débuté dès sa première affectation en Allemagne, alors qu’il avait dû le sortir de prison après le Nouvel An à la Porte de Brandebourg. Il avait été un peu trop téméraire avec une Berlinoise à cheval sur le quadrige. Pourtant, au début c’est Joseph qui avait secouru Cameron d’une séparation dont l’apprenti journaliste ne s’était jamais remis.

Résigné par l’acharnement de son employé et la désespérante diaphanéité des draps laissant passer la lumière du soleil, Joseph se leva et se rendit à la salle de bain. Un quart d’heure plus tard, ils descendirent ensemble au lobby. Joseph s’enregistra au kiosque, prit son sac-surprise et son badge de journaliste avant de pénétrer dans la salle de conférence. Il s’installa à la table réservée à ceux de son espèce, bien au bout de la pièce à côté de la cabine de traduction. Il sortit sa tasse OPEP et se versa du café. Il passa en revue rapidement l’ordre du jour, rien d’intéressant ne retint son attention.

À la pause du déjeuner, Joseph fila à l’anglaise abandonnant Cameron et son carnet de notes vide. Toute la matinée, il n’avait eu qu’une idée en tête.