La treizième (1)

Parce que! De toute évidence! C’est la réponse la plus logique. Et on me dira que ça ne veut rien dire. Et moi je répondrai que de toute façon il en va de même pour toutes vos belles hypothèses. Je pourrais dire ce qui suit avec toute la condescendance dont je suis capable: le peuple confond théorie et aphorisme. Ces gens ordinaires trouveront une véritable leçon de vie dans ces sentences lancées par des ivrognes allemands ou des animateurs de late night talk show sur la bande AM. Oui, camarade, la vie est une boîte de chocolat et j’imagine que d’être en exergue de Conan the Barbarian n’a pu que donner le goût à Nietzsche de sortir de sa tombe et de s’acheter un popcorn.
Jeanne est tellement paisible. Je la trouve belle dans sa façon d’être dans son corps, de tout ressentir dans sa chair. Je la trouve belle à sa façon d’aimer. Je n’ai jamais pu être le seul pour elle. Cela ne l’empêche pas de m’aimer sincèrement. Bien sûr, elle aime son ex-mari même si elle est dans mes bras ou ceux d’un autre. Elle m’aime et elle aime un autre et peut-être même encore un autre. Ça je le sais, ce que j’ignore, c’est si je l’aime. Je suis nostalgique du temps où nous étions des amis. Je ressentais quelque chose de fort, mais sans savoir quoi, sans avoir le désir de l’explorer. Aujourd’hui, nous baisons régulièrement avec la distance propre aux amants. Je ne veux pas trop en savoir sur les autres et elle ne veut pas trop en savoir sur mes autres.
Et puis, je pense à Marie. Je sais bien que ce n’est pas le moment. Mais est-ce jamais le bon moment? J’aimerais que Jeanne arrête de jouir un instant et se penche vers moi pour me demander ce qui se passe avec Marie? Comme quand on se disait tout. Comme avant… mais il est trop tard. Jeanne et moi avons atteint le point de non-retour. Le point où on ne sera plus jamais tout simplement des amis.
Alors, dis-moi chéri, qu’est-ce qui se passe avec Marie ? J’ai couché avec Marie. N’est-ce pas ce que tu voulais ? Oui… Qu’est-ce qui a changé ? Rien… en fait, ce n’est pas d’avoir baisé avec elle qui a changé quelque chose, c’est plutôt de la voir pleurer devant moi. Pourquoi pleurait-elle? Parce que je me referme dès qu’elle me rejette. Tu crois qu’elle te rejette? Non, mais c’est comme si… elle met de la distance entre nous dès que je tente de me rapprocher. Pourquoi fait-elle ça? Est-ce que je sais moi! J’imagine que c’est parce qu’elle a peur de me blesser. Et puis ? Et puis quoi? Est-ce qu’elle t’a blessé? Je ne sais pas.
Je ne bande plus. Jeanne me regarde, les cheveux en pagaille, le visage en sueur et parsemé de rougeurs. Tu n’as pas joui? Jeanne tu es trop vraie. Non, ce n’est pas de ta faute, c’est la faute à Marie.
...