Brexit : pourquoi la sortie n'a toujours pas eu lieu trois ans après le référendum
Il y a trois ans, le 23 juin 2019, les Britanniques se prononçaient par référendum sur le maintien ou la sortie de leur pays de l'Union européenne. Si beaucoup de médias pronostiquaient encore le soir du scrutin une victoire du "remain" avec quelques points d'avance, c'est finalement le camp du "leave" (donc le Brexit) qui a gagné. Vous vous rappelez probablement du coup de tonnerre médiatique du matin du 24 juin.
Seulement, voilà, trois ans après avoir voté en faveur de la sortie de l'Union européenne, le Brexit n'a toujours pas eu lieu. Pourquoi donc ? Le Brexit peut-il encore avoir lieu ? Si oui, quand ? Je vous propose quelques éléments de réponse.
Un gouvernement réticent au Brexit
Après la victoire des Brexiteers lors du référendum, le lendemain du référendum, le Premier Ministre David Cameron a annoncé qu'il démissionnerait dans les mois suivants. Au Royaume-Uni, il n'est pas rare qu'un chef de parti ou un responsable politique démissionne après une défaite électorale ou même après des résultats électoraux moins bons qu'espérés. Après les élections générales de 2015, plusieurs chefs de partis avaient présenté leur démission, soit parce qu'ils avaient perdu trop de sièges, soit parce qu'ils n'avaient pas été élus. David Cameron avait défendu le maintien dans l'UE avant le référendum, la victoire du "Leave" a été un revers électoral. Il a donc décidé de céder sa place à quelqu'un d'autre pour mener les négociations sur la sortie de l'UE.
À l'époque, l'un des favoris pour le remplacer au 10 Downing Street était le Conservateur Boris Johnson, ancien maire de Londres de 2008 à 2016. Cependant, le 30 juin 2016, coup de tonnerre : Johnson renonce à briguer le poste de Premier Ministre. Beaucoup d'anti-Brexit et d'observateurs étrangers ont accusé l'ancien maire de Londres de s'être dégonflé ou de ne pas avoir assumé son vote. Les gens qui vous disent ça ne savent probablement pas de quoi ils parlent. Pour comprendre ça, il faut s'intéresser un peu à la politique britannique.
Au Royaume-Uni, très souvent, c'est le leader du parti qui arrive en tête des élections générales qui est nommé Premier Ministre. C'est ce qui s'est passée en 2010 et 2015 avec David Cameron après la victoire des Conservateurs aux élections générales. Avec le Brexit, la situation était quelque peu différente. Après le référendum de 2016, il fallait nommer quelqu'un, non pas après une élection générale, mais après une démission. Au Royaume-Uni comme dans d'autres pays, le Premier Ministre n'est pas élu directement, il est nommé par le parti majoritaire au parlement. En 2016, ce sont donc les Tories (les Conservateurs) qui ont dû choisir en interne un nouveau chef de parti (et de majorité) à proposer comme Premier Ministre.
Comment le Parti conservateur choisit-il son leader ? Pour résumer simplement, plusieurs candidats se proposent, et les députés ("Members of Parliament" ou MPs) du parti votent. Il y a plusieurs tours avec des seuils éliminatoires, et à chaque tour, un ou plusieurs candidats sont éliminés. Les députés procèdent par élimination jusqu'à ce qu'il n'en reste que deux. Jusque que là, c'est comme Koh-Lanta, mais sur une île plus grosse et où il pleut, et sans bikinis ni épreuve des poteaux. Une fois que les MPs conservateurs ont sélectionné deux finalistes, les adhérents à jour de cotisation sont amenés à se prononcer par correspondance. Le candidat qui obtient le plus de voix est nommé à la tête du parti. En 2016, c'est Theresa May qui a gagné, après le retrait de plusieurs de ses concurrents. Mais pourquoi Johnson s'est-il retiré avant le 1er tour alors qu'il était favori ? C'est simple : il a été trahi. Pour passer chaque tour du vote interne, il faut avoir beaucoup de soutiens parmi les députés du parti. Un candidat qui n'est soutenu que par 10 députés se fait sortir forcément sortir après le premier vote. Peu de temps avant le début de la compétition, Johnson était soutenu par plusieurs ténors de son parti, notamment Michael Gove (qui était alors membre du gouvernement Cameron). Avec certains députés, Gove s'est arrangé pour semer le doute sur les capacités de Johnson à diriger le pays et pour le pousser à renoncer à sa candidature. Ayant perdu beaucoup de soutiens en interne, Johnson a renoncé à participer à l'élection interne... et Gove en a profité pour se présenter lui-même. Ce n'a d'ailleurs pas été un franc succès puisque Gove a été sorti au second tour avec 14 % des voix. La candidate arrivée deuxième, Andrea Leadsom, s'est retirée avant le vote des adhérents car avec 25 % des voix, elle avait trop de retard par rapport à la candidate arrivée en tête des votes chez les députés, une certaine Theresa May. Peu de temps après, c'est donc Theresa May qui a été élue cheffe de parti, et désignée pour succéder à Cameron à la tête du gouvernement.
Cependant, malgré sa large victoire, il n'est pas certain que May aurait gagné si Johnson avait participé à l'élection interne. La trahison de Gove et la non-candidature de Johnson ont eu des effets conséquents sur les négociations du Brexit....
Theresa May, une Première Ministre réticente au Brexit
Après avoir été choisie par le Parti conservateur, Theresa May a pris place au 10 Downing Street vers la mi-juillet 2016, en promettant de mener le Brexit à bien. Cependant, pendant l'été, les négociations avec l'Union européenne ont été peu développées. À l'époque, l'UE voulait faire preuve de fermeté, et ne pas offrir des conditions trop favorables aux Britanniques, probablement de peur que d'autres pays n'envisagent à leur tour une sortie. De plus, Theresa May semble avoir quelque peu pris son temps. Ce n'est que le 29 mars 2017 que la Première Ministre a activé l'article 50 du Traité sur l'Union européenne. L'article 50 du TUE, c'est l'article permettant à un État de notifier sa sortie de l'UE. À partir de cette date, le Royaume-Uni et l'UE disposaient de deux ans pour définir les termes de la sortie. Et le moins qu'on puisse dire... c'est que les choses ont beaucoup traîné, et que les négociations ont été compliquées. Un an après, le 29 mars 2018, les choses étaient encore très brouillonnes, car personne n'arrivait à se mettre d'accord. Côté UE, les différents acteurs n'étaient pas d'accord entre eux sur la procédure de négociations et sur la fermeté à afficher face au Royaume-Uni. Côté britannique, les gens n'étaient pas d'accord sur les compromis à faire : certains étaient partisans d'un Brexit "mou" (en gardant le pays plus ou moins aligné sur certaines législations européennes et dans l'union douanière et/ou le marché commun), et d'autres étaient partisans d'un "hard" Brexit, c'est-à-dire d'une séparation claire à la suite de laquelle le pays ne devrait plus appliquer de lois européennes sur son territoire.
Côté britannique, il a beaucoup été reproché à Theresa May son manque de leadership, mais surtout sa faiblesse lors des négociations. Les Remainers (les anti-Brexit) l'ont accusée de ne pas assez défendre les droits des résidents britanniques installés dans l'UE et ceux des citoyens de l'UE installés au Royaume-Uni. Les Brexiteers (les pro-Brexit) lui ont reproché de céder trop facilement aux exigences de l'Union européenne, et de ne pas suffisamment utiliser les leviers de pression dont elle disposait. Pendant toute sa période passée au 10 Downing Street, May n'a cessé de répéter son slogan "strong and stable" à toutes les sauces, à tel point que ça en est devenu un running gag : "strong and stable leadership", "strong and stable government", "strong and stable Prime Minister".
Pour le fort leadership, c'est raté. La politique de Theresa May a été contestée fortement dans son propre parti dès début 2017, à tel point qu'elle a décidé d'organiser des élections générales anticipées en juin pour augmenter sa majorité et diminuer proportionnellement le nombre de "frondeurs" dans sa majorité. Même si les Conservateurs sont arrivés en tête de ces élections, ça a quand même été une victoire en demi-teinte, ou un semi-revers selon les points de vue : les Conservateurs ont perdu leur majorité absolue, et le Parti travailliste de Jeremy Corbyn en est sorti renforcé par rapport à 2015. Sur la scène européenne aussi, la Première ministre est parfois apparue un peu isolée.
Pour ce qui est de la "stabilité" gouvernementale, ce fut là aussi un désastre. Dès 2017, ce sont 7 membres du gouvernement qui ont démissionné. En 2018, ils étaient encore plus nombreux puisqu'ils ont été 26 à démissionner. En 2019, ce sont encore 17 ministres et secrétaires d'État à partir. Au total, il y aura eu 50 démissions dans le second gouvernement May, dont 33 en rapport direct avec le Brexit. Un record. Dans un tel contexte, il est évident que le leadership de May et sa façon de faire étaient très contestées en interne, et cela n'a pas aidé le gouvernement à afficher une position ferme et unie.
Mais il faut se demander pourquoi Theresa May était aussi contestée par une partie de son parti et par beaucoup d'électeurs pro-Brexit, qu'ils soient membres du Parti conservateur ou non. Si on regarde les sondages réalisés avant et après le vote, on voit que l'électorat tory a très largement voté pour sortir de l'Union européenne, tandis que l'électorat travailliste (et donc de gauche) a voté contre. En 2016, le Premier Ministre sortant, David Cameron, était pour le maintien dans l'UE, alors que beaucoup de ses électeurs étaient contre (certains avaient voté pour lui plutôt que pour l'UKIP en 2015 car il avait promis un référendum sur l'appartenance à l'UE). Certains Conservateurs, notamment Jacob Rees-Mogg, Michael Gove et surtout Boris Johnson ont fait ardemment campagne pour le Brexit. Suite à la démission de Cameron, l'évincement de Johnson de la course vers le 10 Downing Street a écarté l'un des principaux Brexiteers, ce qui a ouvert un boulevard à Theresa May.
Or, ce qu'il faut savoir, c'est que bien qu'elle soit membre du Parti conservateur, Theresa May était à l'époque une "Remainer", c'est-à-dire une partisane du maintien dans l'UE, et elle a d'ailleurs fait campagne dans ce sens. Le 23 juin 2016, la majorité des électeurs britanniques a voté pour quitter l'Union européenne, et le pays s'est retrouvé quelques semaines après avec une anti-Brexit au pouvoir et à la tête d'un parti dont les électeurs étaient en vaste majorité favorables au Brexit !
Et à partir de là, il ne faut pas s'étonner de voir la lenteur des négociations, ou de voir que Theresa May a cédé facilement à l'UE sur pas mal de points. Pendant plus de deux ans, May a répété la phrase suivante : "no deal is better than a bad deal". Traduction : "pas d'accord vaut mieux qu'un mauvais accord". C'est pourtant un accord jugé quasi-unanimement mauvais côté britannique qu'elle a présenté en novembre 2018. Sachant que cet accord serait jugé comme mauvais à la fois par les Brexiteers et les Remainers, May a essayé de retarder le plus possible le vote. Un vote de défiance a même été lancé par 48 députés conservateurs en décembre. Le vote de la Chambre des Communes (House of Commons) n'a finalement eu lieu que le 15 janvier 2019. Sans grosse surprise, l'accord a été massivement rejeté, avec 432 voix contre et 202 pour. C'est la plus grosse défaite de l'histoire du parlement pour un Premier Ministre. Le lendemain, une motion de censure est lancée par le leader de l'opposition, Jeremy Corbyn, et May échappe de 19 voix seulement à la destitution.
L'UE refusant de renégocier l'accord de sortie, May a représenté le texte le 12 mars. Les députés ont une nouvelle fois voté contre, à 391 voix contre 242. Le lendemain, ils ont voté contre une sortie sans accord. Le surlendemain, ils ont voté contre un nouveau référendum. Essayez de visualiser un peu la situation : Theresa May présente un accord jugé comme insatisfaisant (voire inacceptable) à la fois par les pro et les anti-Brexit, et les députés votent contre cet accord, et votent ensuite contre une sortie sans accord alors que l'UE refuse de renégocier ! Face à cette situation ubuesque, Theresa May est allée ̶m̶e̶n̶d̶i̶e̶r̶ négocier un délai supplémentaire auprès du Conseil européen pour tenter de gagner du temps pour faire passer son accord. Les dirigeants européens ont accepté de repousser la date de sortie au 12 avril. Le 29 mars, jour initialement prévu pour le Brexit, Theresa May présentait pour la troisième fois son accord de sortie avec des modifications mineures, accord qui a été rejeté une troisième fois.
Le 11 avril, inquiet d'une sortie sans accord qui pourrait pénaliser l'économie européenne (et notamment les entreprises qui exportent beaucoup vers le RU), le Conseil européen a accepté un nouveau report "flexible" et donne au pays jusqu'au 22 mai inclus pour accepter l'accord et sortir avant le début des élections européennes (prévu le 23). Après le 22, le pays était tenu de prendre part à ces élections, mais avec une date de sortie au 31 octobre 2019 au plus tard. Près de trois ans après le vote, le grand public est lassé de toutes ces tergiversations autour du Brexit, et l'insatisfaction est grande concernant le bilan de Theresa May, à tel point que le nombre de sondés favorables à un Brexit sans accord a augmenté ces derniers mois. Le 23 juin, les élections européennes ont eu lieu au Royaume-Uni, et c'est le Brexit Party de Nigel Farage (ancien leader de l'UKIP et eurodéputé sortant) qui est arrivé largement en tête avec 30,7 % des voix (29 sièges). Le Parti conservateur de Theresa May a essuyé une très sévère défaite et a fini en 5ème position, derrière les LibDems (19,7 %, 16 sièges), les Travaillistes (13,7 %, 10 sièges) et même le Parti vert (11,76 %, 7 sièges) ! Oui, vous avez bien lu, le parti au pouvoir au Royaume-Uni a fini derrière un parti créé quelques mois avant (le Brexit Party), derrière un parti qui était quasiment mort (les LibDems) et derrière les écolos. Les choses sont claires : une grosse partie de l'électorat tory s'est reporté sur le Brexit Party et les LibDems. Beaucoup d'électeurs conservateurs ne sont pas satisfaits de Theresa May et de sa majorité. Il faut bien se rendre compte que beaucoup de députés (et d'eurodéputés) conservateurs étaient réticents eux aussi au Brexit, ce qui les mettait en décalage avec leur base militante et leur électorat. Lors des européennes, ce sont aussi les députés et les eurodéputés conservateurs qui ont été sanctionnés. Suite à cette claque électorale, le lendemain du scrutin, Theresa May a annoncé sa démission de la tête du parti à la date du 7 juin, puis du gouvernement après la nomination de son successeur.
À gauche, ces européennes n'ont pas été un franc succès pour les Travaillistes. Le principal parti d'opposition, qui était arrivé deuxième en 2014 est passé troisième en 2019, perdant 10 sièges d'eurodéputés au passage. Le fait que le Labour termine derrière les LibDems montre qu'une grosse partie de l'électorat ne juge pas ce parti suffisamment crédible pour gouverner. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Depuis l'arrivée de Corbyn à sa tête, le Labour s'est "radicalisé" vers la gauche, repoussant une partie des électeurs modérés compatibles avec le centre. Le parti s'est aussi montré favorable au maintien du pays dans l'union douanière et le marché commun, alors que le pays avait voté pour en sortir. De plus, le Labour s'est montré très favorable à l'immigration, et ce alors que le vote en faveur du Brexit s'est beaucoup reposé sur la diminution de l'immigration (légale comme illégale). Corbyn a déçu les électeurs de gauche modérée et du centre-gauche, les pro-Brexit de gauche et s'est montré laxiste sur les questions d'immigration alors que même une part non négligeable de la gauche veut une politique plus stricte sur ce sujet.
Et maintenant ?
Le processus de désignation du chef du Parti conservateur est encore en cours. Sauf renversement majeur, Boris Johnson devrait l'emporter cette fois-ci. L'ancien maire de Londres dit qu'il est prêt à faire un Brexit sans accord d'ici le 31 octobre, mais qu'il est prêt à renégocier l'accord de sortie avec l'UE. Cependant, on peut émettre des doutes sur ses marges de négociation, notamment parce que son parti a été très affaibli (avec une sévère défaite aux élections européennes) et surtout à cause des délais très courts. Le nouveau chef des Conservateurs ne sera connu que le 22 juillet.
Le nouveau président du Parlement européen a pris ses fonctions début juillet. Le successeur proposé de Jean-Claude Juncker à la Commission européenne, l'Allemande Ursula von der Layen, doit encore convaincre une majorité d'eurodéputés pour lui succéder dans les prochains mois. Le Parlement européen a été renouvelé, mais les présidents sortants de la Commission et du Conseil vont probablement rester en place quelques mois encore, notamment pour préparer la transition avec leurs successeurs, ce qui va laisser moins de temps pour gérer les dossiers relatifs au Brexit malgré le timing de plus en plus serré. Autant vous dire que les prochains mois vont être compliqués...
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