Le jugement des wagons « azur »

Dans les nouveaux wagons nommés « azur » du métro de Montréal, il y a des sièges qui se replient sur eux-mêmes. Pratique pour faire plus de place en les refermant lorsqu’il y a trop de passagers dans les wagons.

C’est quelque chose de plutôt banal. Pourtant, les deux dames debout près dudit siège semblent décidées à faire comprendre le principe des sièges rétractable à une adolescente qui est en train de commettre le sacrilège d’être assise sur l’un de ces bancs à 17 h 15. La gamine semble en pleine forme dans ses souliers de course et son coton ouaté.

Les deux dames utilisent une technique passive agressive pour désincruster l’ado du siège. Elles dévisagent la demoiselle en expliquant que « de nos jours, les jeunes ne savent pas vivre » et qu’« il est égoïste de s’assoir sur ces sièges en pleine heure de pointe », « surtout pour une jeune en pleine forme », « mais, les jeunes, de nos jours… » Elles en ajoutent, tantôt dans la langue de Molière, tantôt dans la langue de Shakespear.

Je me dis : « ben oui, toé, “bilingual” pour être bien sûr d’être comprises. Elles sont intenses les madames »

En tout cas, ça finit par marcher. L’adolescente met son sac sur son dos. Elle fait bien attention de ne pas croiser le regard des dames et elle se lève. Elle avance en vacillant vers les poutres du centre : en pleine heure de pointe, c’est une entreprise périlleuse.

Elle a une démarche particulière, une démarche que je connais bien : celle des orgueilleux voulant cacher une faiblesse. Je ne sais pas exactement ce qu’elle a, mais il me semble évident qu’elle ne doit pas mettre de pression sur sa jambe gauche. Elle choisit de se tenir sur une seule jambe, comme un oiseau ayant besoin de repos près d’un prédateur.

Elle a vraiment l’air d’être inconfortable, de souffrir. Ce n’est pas mêlant, je veux me lever pour lui céder ma place, sauf que je suis déjà debout… Je me dis que je pourrais peut-être l’aider à se tenir en équilibre. Je m’approche un peu. Son regard quitte le sol un instant et elle me regarde la regarder. Là, je me rends compte que pour elle, je suis un homme qui a deux fois son âge, une tête et demi plus grand qu’elle (environ 45 cm) et qui la regarde avec insistance depuis au moins 20 secondes. Je ne veux pas lui faire peur.

Merde! Est-ce que je suis le seul à vouloir l’aider? Est-ce que je suis le seul à remarquer sa blessure? Il n’y a personne d’assez humain pour l’aider, pour lui laisser son siège, pour tasser la bonne femme qui s’est finalement assise sur la chaise pliante? Vraiment, l’égoïsme, l’individualisme et la fausse bien-pensance sont les maux du 21e siècle.

Je prends une inspiration dans la ferme intention de faire un appel à tous, « bilingual » au besoin, pour que quelqu’un lui donne son banc.

Finalement, je n’en fais rien. Je ne veux pas empirer la situation. Peut-être que tous ceux qui sont assis sur un banc ont une aussi bonne raison que la gamine de vouloir rester assis. Peut-être qu’en parlant, je vais simplement faire culpabiliser une personne blessée qui se lèvera alors qu’elle aurait dû rester assise. Peut-être que les sièges pliants des wagons « azur » sont là pour les moments où il y a trop de passagers incapables de se maintenir en équilibre dans un métro en marche pour le nombre de bancs fixe disponible.

Ou pas…

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