Qui a peur du grand méchant monde ?

in #fr6 years ago

Ce texte a été publié pour la première fois en décembre 2015 dans le numéro 5 de Même Pas Peur, journal satirique belge.

L’histoire de René n'est pas terrible: le vieil homme ne sort plus de chez lui et ne voit personne, à deux exceptions près : sa femme Josiane qui lui fait à manger et ne parle pas beaucoup et Léon, un gars de sa génération qui esquisse de grands gestes avec sa canne quand il fait la conversation à René.

Parfois, René va pêcher avec Léon mais ça devient de plus en plus rare. En effet, il a peur de laisser Josiane toute seule depuis qu'il a vu un reportage-choc qui détaille les nouvelles techniques de cambriolage.
La réaction de René fut immédiate : il a rassemblé ses dernières économies et s'est payé l'artillerie lourde pour faire sécuriser son plein pied en zone résidentielle.
René a aussi une autre crainte : il redoute que Josiane profite de son absence pour se rendre en ville, ce qu'il lui a interdit de faire sans être accompagnée. Il se sent mal à l'aise rien que d'y penser. Et pour cause : le vieil homme est persuadé que les salafistes sont de plus en plus présents dans sa petite ville. Puis, il y a un autre danger en ville : les jeunes ! René les croise parfois, quand ils traînent par petits groupes, autour des bancs publics avec leur casquette, leur capuche et leur musique à faire trembler son pacemaker. De quoi vivent-ils tous ces gens qui errent aux heures où les autres travaillent ?

Vous pensez peut-être que René est un gros con et que sa femme Josiane est vraiment à plaindre. Je ne me prononcerai pas sur cette question. Par contre, une chose est certaine : l'homme est atteint du syndrome du « monde méchant » ou Mean World Syndrom.

Ce syndrome a été mis en évidence par George Gebner, un professeur qui a enseigné les télécommunications à l'Université de Pennsylvanie. Le syndrome du monde méchant n'est pas une maladie mentale – vous imaginez un peu le nombre de patients ? - Il constitue en fait une réponse instinctive du cerveau à ce qui est considéré comme une menace sérieuse. Cette réaction est le fruit d'une surcharge de stimuli négatifs envoyés par certains médias. Les scientifiques parlent d'heuristique de disponibilité pour définir ce mode de raisonnement qui se base surtout sur les informations immédiatement accessibles. Cela peut être pratique de ne pas commencer à se faire une dissertation intérieure lorsque l'on se retrouve pris dans un immeuble en flammes et qu'il faut agir vite. Mais n'est-ce pas malsain de vivre dans un tel climat d'urgence en permanence ?

Essayons de comprendre concrètement comment le syndrome du monde méchant fonctionne. Nous avons vu plus haut que René avait peur des musulmans. Mais sur quoi se fonde en grande partie le raisonnement de cet homme qui n'a que peu de contacts avec le monde extérieur ? Assurément sur les représentations qu'il a assimilées. Celles-ci sont principalement de nature médiatique. Ainsi, René se représente les salafistes comme l'ensemble des « barbus en djellabas » et il en vient, erronément, à suspecter tous les musulmans.

Autrement dit, le syndrome du monde méchant se développe lorsqu'on laisse certains types de programmes faire à appel, de manière répétée, à notre instinct de survie. Vous n'en êtes pas convaincus ? Lisez donc l'exemple frappant qui va suivre, portant sur le JTde TF1.

Toutes les soirées de René suivent le même schéma et à 20 heures, il est devant le JT de TF1. Le générique palpitant commence avec ses sonorités angoissantes. Peu de gens le savent mais il s'agit en fait d'une adaptation de la petite mélodie que l'on entend dans le thème principal des Dents de la mer, composé par John Williams. Vous pouvez facilement le vérifier sans être mélomane car les notes sont identiques. Rien de tel pour faire monter le stress et l'adrénaline !

Ensuite, le spectacle commence vraiment. Il est introduit par une série d'images troubles, dominées par des teintes sombres et commentées sur un rythme haletant. Le moindre événement devient un prétexte à la dramatisation. Il pleut sur Paris depuis trois jours ? En période creuse, un journaliste sera dépêché sur les terrasses de Montmartre où il constatera tout le mal que ces vilaines gouttes d'eau font à l'économie...

Après cette petite heure de menaces, juste entrecoupée d'une ou deux informations apaisantes évoquant le terroir, le folklore et la tradition, c'est-à-dire le passé et le conservatisme, René sera rendu à un monde nettement plus heureux : celui de la pub, dans lequel les produits comblent tous les besoins d'individus souriants. Je vous laisse tirer les conclusions qui s'imposent...
Tout comme je vous laisse deviner comment le syndrome du monde méchant peut expliquer les scores très élevés du Front National dans certains bleds français totalement isolés et dont les ressortissants sont pourtant rarement confrontés à des personnes issues de l'immigration.

Quant à moi, je vais plutôt tâcher d'oublier cette pluie perfide qui veut empêcher la reprise de la croissance pour conclure sur une bonne nouvelle : le syndrome du monde méchant se soigne très facilement !

Par exemple, en suivant le conseil de l'écrivain Patrick Lowie, publié sur sa page Facebook après les attentats de Paris : Cessez de vivre dans les faits divers, cessez d'en faire un discours politique, coupez les infos, arrêtez vos antidépresseurs et autres addictions et achetez des livres. Faites vivre ceux et celles qui ont une autre vision du monde.

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