L'écologie est-elle compatible avec le capitalisme ?

in #fr6 years ago (edited)

Précédemment, j'ai rédigé une série d'articles sur les conditions de vie des mineurs d'antan et sur les liens que nous pouvons établir avec la société d'aujourd'hui.
Ces textes font suite à une visite de Bois-de-Luc, l'un des grands sites miniers de la Belgique qui a été rebaptisé fin 2016 Musée de la mine et du développement durable.

Je me suis d'abord demandé ce que le développement durable venait faire dans la visite d'une ancienne industrie lourde, peu soucieuse de l'environnement, et sans que la question écologique ne soit abordée au cours de la visite. Ensuite, j'ai compris : Bois-du-Luc comprend désormais une salle d'exposition qui aborde ces thématiques. Évidemment, nous y avons aussi passé un petit moment. Deux visites en une, cela ne se refuse pas !

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L'exposition actuelle est dédiée à Gustave Boël, gros industriel et membre du Parti Libéral à l'origine de la création de la ville de La Louvière. Un mini-film montre notamment l'évolution de ce hameau promu métropole et de ses environs immédiats au fil des décennies, lieux aujourd'hui marqués par de nombreux chancres témoins d'un recul du capitalisme industriel.
La dernière salle, elle, présente succinctement divers projets de reconversion verte des anciens sites noircis par les entreprises et ce un peu partout dans le monde afin de remodeler les paysages et de relancer l'économie capitaliste. Le message sous-jacent est clair : le capitalisme et l'écologie sont compatibles et l'écologie constitue même l'avenir de notre économie.

Vraiment ?

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Ce qui nous est présenté ici comme une évidence relève plutôt d'une opinion et elle est loin de faire l'unanimité. Quoi qu'il en soit, la question posée est fort intéressante et c'est pourquoi je vous propose de l'approfondir ci-dessous. J'aimerais vous présenter différents points de vue afin que vous vous fassiez votre propre avis. Je constate en effet que l'écologie est devenu un sujet incontournable tant les enjeux sont importants et parfois, imminents. Néanmoins, elle est aussi actuellement un paravent électoral ce qui amène à aborder le sujet en surface et à ne plus savoir quelle réalité se cache derrière les mots.

Une note avant de commencer ce petit tour d'opinions : on prendra ici le terme de capitalisme dans son sens large, c'est-à-dire celui d'un mode de production reposant sur la propriété privée des moyens de production.

1) Sociaux-démocrates, sociaux-libéraux et libéraux : tous pour le développement durable. Mais qu'est-ce que cela signifie ?

L"expression développement durable est apparue pour la première fois en 1987 à l'occasion de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'ONU. À l'époque, la définition retenue est celle de Gro Harlem Brundtland, première ministre norvégienne :

Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins.

Peu prisé par le monde politique à l'origine, le concept de développement durable a fini par s'imposer en Europe dans les années 2000 au sein des programmes des partis politiques de gouvernement, c'est-à-dire ceux du centre-gauche et ceux de la droite modérée principalement.

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Avec son slogan "Make our planet great again" le président français Macron tente de se positionner en chef de file de ce courant.
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Ce concept a en effet l'avantage pour les partis au pouvoir de ne pas remettre le productivisme en cause. La recherche d'une croissance économique peut ainsi continuer à guider les agendas politiques du moment que les préoccupations environnementales sont prises en compte. (cela veut donc dire qu'elles continuent à passer après l'économie).

Pour les défenseurs d'une économie capitaliste verte, la solution aux problèmes environnementaux doit être cherchée du côté des nouvelles technologies qui permettraient de maintenir la croissance tout en réduisant l'impact sur l'environnement. Elles permettaient en outre de créer des nouveaux emplois.

C'est le discours dominant, celui qu'on retrouve dans la bouche de nombreux responsables politiques. Il n'est donc pas étonnant qu'un musée officiel la défende. Mais est-ce parce qu'une idéologie est la plus répandue qu'elle s'approche le plus de la vérité scientifique ?

L'idée d'un capitalisme vert et vertueux est aussi le paradigme qui dicte l'action publique en matière de lutte contre le réchauffement climatique, une lutte que de nombreux observateurs et ONG jugent timide voire totalement inefficace.

À Kyoto, on a vendu des "droits de polluer", jouant sur les deux composantes de tout marché capitaliste que sont l'offre et la demande. Cela donne de fait le droit de polluer à ceux qui possèdent davantage de moyens pour acheter ces droits, c'est-à-dire les grandes industries des pays occidentaux.

La foi en des technologies nouvelles censées nous permettre de préserver davantage l'environnement achoppe sur le même écueil : ces technologies ont un coût que tout le monde ne sait pas se payer.
Et puis, on occulte souvent la façon dont ces nouvelles technologies sont produites et comment elles sont recyclées...

En Belgique, l'un des grands fiascos de cette écologie de marché peut être illustré par la bulle du photovoltaïque : la région wallonne a décidé de subventionner massivement ce secteur en créant des incitants très larges pour les citoyens qui décidaient de munir leur logement de panneaux (prime + déduction fiscale sur plusieurs exercices). Résultat : le succès fut tellement au rendez-vous que de nombreuses entreprises se sont créés, ont engrangé des bénéfices en un temps record... avant de se vautrer du jour au lendemain parce que le gouvernement wallon avait créé une dette supplémentaire de 2 milliards d'euros et décidait brusquement de réduire drastiquement les aides.

2) Les libertariens : le capitalisme est le système le plus écologique qu'il soit

Le libertarianisme, d'après Wikipedia, est une philosophie politique pour laquelle une société juste est une société dont les institutions respectent et protègent la liberté de chaque individu d’exercer son plein droit de propriété sur lui-même ainsi que les droits de propriété qu’il a légitimement acquis sur des objets extérieurs (cela inclut donc les ressources naturelles).
Il s'agit donc d'une forme radicale de libéralisme qui sacralise la propriété privée et la place au-dessus de toute autre préoccupation. Cette philosophie est fort répandue aux États-Unis mais se limite à quelques cénacles en Europe.

Les libertariens, eux, ne s'embarrassent pas de longues formules pour conclure à la compatibilité intrinsèque du capitalisme et de l'écologie. Ils vont beaucoup plus loin : selon ce point de vue, le capitalisme pur serait plus respectueux des ressources naturelles que n'importe quel autre système plus collectiviste.

Cette affirmation peut sembler surprenante à première vue mais ils la démontrent avec une rigidité quasi mathématique : d'après eux, si chacun reçoit une part de ces ressources comme propriété privée, il en prendra davantage soin que si les ressources appartiennent à tout le monde.

Cette affirmation part du postulat que l'éthique individuelle est plus forte que la responsabilité collective. Or, dans la philosophie libertarienne, l'État doit intervenir le moins possible dans la vie des individus. De fait, aucune loi ne contraindrait chacun à prendre soin des ressources naturelles. Quel serait alors l'impact environnemental possible d'une société composée d'individus libres de polluer et d'exploiter sans limite la nature ?

De plus, ce n'est pas du capitalisme monopolistique actuel dont parle cette approche mais d'un capitalisme idéal et de libre concurrence, un capitalisme qui n'existe que dans les livres.

3) L'écosocialisme des révolutionnaires et des réformistes

Le terme d'écoscialisme est apparu dans les années septante à une époque où de nombreux penseurs de la gauche radicale désacralisaient les dogmes fondateurs du marxisme, afin de rendre plus pertinente la critique de la société de consommation.

Il y a, à ce moment de l'Histoire, une prise de conscience que les travailleurs ne sont pas les seules victimes de l'exploitation capitaliste. Par la recherche d'un profit infini dans un monde fini, le capitalisme ne peut que détruire l'environnement.

Dans cette optique, l'écologie et le capitalisme sont intrinsèquement incompatibles et une fusion des idéaux socialistes et écologistes doit s'opérer dans l'intérêt des peuples du monde et de la planète.

Aujourd'hui, le concept d'écosocialisme est repris un peu partout à gauche du spectre politique. On le retrouve chez les formations dites de gauche radicale comme au sein de certains courants des partis verts et des partis socialistes.

En Belgique, Élio Di Rupo, ancien premier ministre et actuel bourgmestre de la ville de Mons, en a même fait un des concepts-clés de son dernier ouvrage Nouvelles conquêtes. À la tête du gouvernement précédent, l'homme a pourtant rédigé et mis en pratique - avec une coalition de socialistes, de centristes et de libéraux - une note de politique générale dans laquelle était entre autres prévus l'exclusion massive de chômeurs, l'allongement des carrières et la réforme du statut des fonctionnaires. Au niveau local, la gouvernance Di Rupo a été marquée par différentes aides envers de grands groupes tels que IKEA et PRIMARK afin de favoriser leur implantation sur le territoire communal, entreprises souvent montrées du doigt pour leur manque de respect envers l'environnement et les travailleurs...

On voit donc à quel point certains termes sont galvaudés et vidés de leur sens premier !

Du côté des écosocialistes sincères, on retrouve deux principaux courants : des réformistes qui participent aux élections avec entrain et veulent conquérir légalement le pouvoir pour changer progressivement de mode de production et des révolutionnaires qui privilégient l'action extra-parlementaire, pointant les nombreuses concessions qu'accordent les premiers à l'économie marchande.

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Les marxistes aussi aiment repeindre leurs idées en vert Image

D'une manière générale, l'écosocialisme semble d'avantage être un ensemble de théories qu'une pratique concrète du pouvoir. Cela s'explique à la fois par un manque de références historiques et par des incohérences vis-à-vis de l'analyse marxiste originelle. En effet, celle-ci était productiviste et considérait que l'industrialisation de la planète était porteuse de progrès social à condition que ce soient les travailleurs qui détiennent les moyens de production et non les exploiteurs capitalistes.
S'ajoute aussi le fait que la protection de l'environnement n'a pas été non plus une priorité pour les régimes inspirés par le marxisme. La catastrophe de Tchernobyl et les essais nucléaires dans la mer d'Aral sont là pour nous rappeler à quel point pour le bloc de l'Est c'était aussi le triomphe de la science et de la technologie avant tout.

4) Les décroissants de gauche, de droite et d'ailleurs

La décroissance regroupe un ensemble de courants très divers, puisant leurs origines idéologiques dans des théories parfois opposées. Son corpus étant non dogmatique, c'est un milieu très ouvert mais dans lequel sévissent aussi les propagandistes de sectes ou de groupuscules extrémistes qui y voient une opportunité de recruter parmi les déçus du monde contemporain.

La seule chose que tous les décroissants ont en commun c'est de s'opposer à cette composante essentielle du capitalisme qu'est le productivisme. Pour les décroissants, la croissance apporte plus de maux que de bienfaits. Les dégâts sont tant sociaux que moraux et environnementaux.

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La Décroissance, journal qui a popularisé le concept et dans lequel s'expriment des sensibilités diverses. Image

Mais, entre les anarcho-primitivistes, adversaires sans concession de la technologie et du capitalisme, et les conservateurs religieux qui entendent protéger la nature en tant que création divine, il y a un monde. Ces derniers ne sont d'ailleurs pas convaincus que le capitalisme, au sens premier du terme, et l'écologie sont incompatibles. Beaucoup de courants religieux conservateurs prônent en effet à la fois la décroissance et une forme de capitalisme paternaliste, celui de la petite entreprise du XIXème siècle dans laquelle le patron a la figure du bon père de famille. Ces courants de pensée ne nous intéressent d'ailleurs pas tellement par rapport à la question posée tant ils reposent davantage sur la foi que sur une analyse critique. D'ailleurs, ses partisans sont-ils réellement des écologistes ? Rien n'est moins sûr...

Là où les décroissants m'intéressent, c'est dans le champ de la pratique. En effet, si les écosocialistes pêchent par une recherche constante de théorisation avant toute action, les décroissants mettent leur idées en pratique pour prouver que l'écologie est une priorité absolue et que des expériences de lutte contre la société de consommation doivent être tentées ici et maintenant : ZAD, simplicité volontaire, coopératives locales,...

Conclusion

Selon le point de vue que l'on adopte, l'écologie sera compatible ou non avec le capitalisme. Les partis au pouvoir, qui se veulent pragmatiques, considèrent en général que les deux ne sont pas inconciliables. Ils pensent néanmoins en général à court terme. Or, si on songe à l'épuisement des ressources et au réchauffement climatique, toujours plus présents et concrets dans notre quotidien, il s'avère selon moi qu'on ne peut pas espérer sauver la planète en conservant ce mode de production.

D'après la collapsologie - étude de l'effondrement de la société industrielle et de ce qui pourrait lui succéder -, le capitalisme atteindra ses limites matérielles dans les prochaines décennies. Cela me semble difficilement contestable. De même, la planète, elle aussi, subit une exploitation qui ne sera plus longtemps soutenable.

Sauver le capitalisme est une affaire d'industriels, de politiciens, de technocrates et de financiers. Sauver l'environnement nous concerne tous. Entre l'écologie et l'économie actuelle, mon choix est donc fait.

La question essentielle ne me semble pour autant pas être celle de la croissance ou de la décroissance. Comme les écosocialistes, je considère que c'est un faux débat que l'on mène parce que nous sommes prisonniers de représentations qui sont celles de l'idéologie dominante. En effet, le capitalisme donne la priorité à l'offre sur la demande. On produit donc trop et mal. Pour ma part, je considère que toute économie digne de ce nom doit partir des besoins de la population et fournir une offre de produits afin de les satisfaire. Dans cette perspective, n'y a donc ni besoin d'une croissance sans fin ni de risquer de ne pas produire assez pour répondre à des nécessités sociales et biologiques.

Par contre, les décroissants me semblent avoir raison de passer à l'action. Face aux enjeux de demain, c'est toute la Terre qui devrait devenir une zone à défendre. Cela dépend donc davantage des institutions internationales que de la bonne volonté des gouvernements locaux. Hélas, vu les orientations d'organisation influentes telles que la Banque Mondiale ou le FMI, un sursaut global n'est pas prêt d'arriver. À nous donc de prendre les devants...

Et vous, pensez-vous que l'écologie et le capitalisme sont compatibles ? Où vous situez-vous dans le débat ? Je serais ravi de débattre de la question avec vous dans les commentaires !

POUR ALLER PLUS LOIN

-Pourquoi les écolos ne sont pas d'accord entre eux ? https://troisiemebaobab.com/l%C3%A9cologie-en-politique-cinquante-nuances-de-vert-ouh-la-la-2d7371645ab
-L'écosocialisme, qu'est-ce donc ?
https://www.revue-ballast.fr/lecosocialisme/
-Bienvenue dans l'ère du «greenwashing»: les nouvelles astuces pour vendre plus vert
http://www.slate.fr/story/140417/greenwashing-astuces-plus-vert
-Voyage dans la galaxie décroissante
http://mouvements.info/voyage-dans-la-galaxie-decroissante
-Les libertariens et l'environnement
http://www.quebecoislibre.org/asenvironnement.htm

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Pour ma part, je partage l'idée que le capitalisme n'est pas vraiment compatible avec l'écologie.

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