[FR] Élections européennes : moins d'intérêt en France qu'en Allemagne

in #europe5 years ago

Les élections européennes approchent, et à quelques jours du scrutin, l'intérêt du grand public semble assez faible en France. Mais de l'autre côté du Rhin, en Allemagne, les choses sont différentes. Si en France, les débats télévisés ont commencé vers début avril, en Allemagne, ça fait des mois que les médias accordent beaucoup d'attention à ces élections. Je me suis demandé pourquoi il y avait de tels écarts dans cette campagne électorale entre les deux pays. Voici mon analyse.


Une approche politique et médiatique différente

En France, comme je l'ai expliqué dans un précédent article, beaucoup de candidats font campagne sur des thèmes plus nationaux qu'européens, et parfois sur des thèmes franco-français. En Allemagne, les listes parlent davantage des intérêts nationaux dans un contexte européen.

Mais c'est aussi du côté médiatique qu'il faut chercher des explications. En France, on voit surtout les 11 ou 12 têtes de listes, mais on entend assez peu parler de leurs programmes pour l'Europe. En Allemagne, lorsqu'on regarde un peu les débats, on voit qu'ils sont déjà plus centrés sur les politiques européennes qu'en France. En France, on entend parler des listes françaises, et on entend un tout petit peu parler de quelques candidats étrangers, mais on entend pas parler des partis politiques européens.

En France, les prétendants au poste de président de la Commission européenne sont inconnus du grand public et invisibles dans les médias. En Allemagne, tous les principaux "Spitzenkandidaten" sont mis en avant et invités dans les médias. En Allemagne, les électeurs qui ont un peu suivi les débats savent qui sont Manfred Weber (membre de la CDU allemande et candidat du Parti populaire européen) et de Frans Timmermans (membre du Parti du Travail néerlandais et candidat du Parti socialiste européen). Ils ont probablement aussi entendu parler de Ska Keller (candidate de Die Grünen et du Parti vert européen), de la Danoise Margrethe Vestager (commissaire européenne, candidate du Parti social-libéral danois et de l'ADLE), du Tchèque Jan Zahradil (Conservateurs et Réformistes européens), ou encore du Belge Nico Cué (Parti de la gauche européenne). En France, presque personne n'a entendu parler d'eux. Même le favori, Manfred Weber, est inconnu des Français.


Les principaux Spitzenkandidaten : Manfred Weber, Frans Timmermans, Jan Zahradil, Ska Keller, Nico Cué et Margrethe Vestager.

Mais parmi les principaux Spitzenkandidaten, l'un d'entre eux sera probablement choisi par le Conseil européen et le Parlement, ce qui jouera bien évidemment sur la politique menée à Bruxelles. Si Weber, Timmermans et Vestager sont assez clairement favorables aux politiques de marché, c'est beaucoup moins le cas de Keller et Cué. La première veut des régulations écologistes (probablement avec des taxes), le second se montre clairement encore plus antilibéral qu'elle. Si on regarde une question comme celle de l'immigration, Ska Keller et les Verts européens sont clairement favorables à l'accueil des migrants extraeuropéens (même si ce ne sont pas des réfugiés ou des travailleurs qualifiés), alors que Jan Zahradil veut que les règles actuelles soient respectées : si un migrant veut obtenir l'asile dans un pays, il doit faire une demande et accepter.


L'Allemagne, pays dominant en Europe

Avec plus de 82 millions d'habitants, l'Allemagne est le pays le plus peuplé de l'Union européenne, devant la France, le Royaume-Uni et l'Italie. C'est aussi la première économie de la zone euro et d'Europe, et la 4ème économie mondiale, derrière les États-Unis, la Chine et le Japon. Bref, vous l'avez compris, l'Allemagne pèse dans le game.

Dans l'Union européenne, l'allemand est la langue maternelle d'environ 90 millions de personnes. Si on rajoute les locuteurs frontaliers ainsi qu'une partie de la Suisse (pays non membre de l'UE), on atteint ou dépasse la barre des 100 millions de locuteurs. Pour rappel, la population de l'UE est estimée à plus de 512 millions d'habitants.

L'Allemagne, c'est aussi un pays qui a un faible taux de chômage (3,2 % en mars selon Eurostat) et une industrie forte, avec des produits largement connus en Europe et dans le monde. Tout le monde en Europe connaît des constructeurs automobiles comme BMW, Mercedes-Benz, Audi ou Volkswagen. Tout le monde connaît des marques comme Adidas, Puma, Hugo Boss, Haribo, Bosch, Siemens, Braun ou Rowenta. Si vous achetez des produits européens et pas du low cost chinois, il est probable que vous ayez au moins un produit allemand chez vous. Si vous ne roulez pas en berline allemande, vous avez peut-être des baskets allemandes au pied. Ou peut-être que vous avez une visseuse Bosch, un rasoir Braun ou un aspirateur Rowenta. Bref, en plus d'avoir envahi ses voisins européens à de multiples, l'Allemagne a également envahi l'intérieur des foyers avec des produits compétitifs.

Les Allemands savent très bien que leur pays pèse lourd économiquement, mais aussi politiquement. Grâce à son poids démographique, l'Allemagne est le pays le plus représenté au Parlement européen avec 96 sièges. L'influence allemande se retrouve aussi dans ces élections européennes. Manfred Weber, le Spitzenkandidat du Parti populaire européen (plus gros parti au Parlement européen) est allemand. Idem pour la candidate des Verts européens, Ska Keller. Les Allemands savent que les politiques européennes seront beaucoup influencées par l'Allemagne. Même si le Parlement européen a peu de pouvoirs, d'une certaine façon, le vote des Allemands a quand même un peu plus de poids que celui des Français ou des Italiens.


Une meilleure image de l'UE en Allemagne qu'ailleurs

En Allemagne, l'Union européenne a une meilleure image que dans beaucoup de pays européens. L'Allemagne est un pays qui se porte encore bien économiquement, avec un faible taux de chômage, alors qu'à l'opposée, des pays comme la Grèce souffrent d'un taux de chômage élevé (notamment chez les jeunes) et de grosses difficultés budgétaires.

L'Allemagne a beaucoup moins été handicapée par l'euro que la Grèce et d'autres pays. L'euro est la monnaie officielle de nombreux États membres de l'UE, mais elle n'est pas adaptée à toutes les économies. D'après une étude allemande, l'Allemagne a été la grande gagnante de la mise en place de l'euro, tandis que les Italiens sont ceux qui ont perdu le plus. Les Français ont eux aussi perdu de l'argent avec la monnaie européenne.


Image : Pixabay.

L'Allemagne se porte mieux que la plupart des autres pays, et c'est en partie grâce (ou à cause) de l'euro. Comme le chômage reste bas et comme l'économie allemande se porte bien, les Allemands gardent de façon générale une bonne image de l'UE, alors que celle-ci s'est fortement dégradée dans les pays d'Europe du Sud, notamment en Italie et en Grèce. Bien évidemment, l'euro n'est pas responsable de tout. La France, l'Italie, l'Espagne et la Grèce ont été réticentes à faire certaines réformes qui ont été faites il y a longtemps par d'autres pays européens, et leur gestion budgétaire n'est pas aussi rigoureuse qu'en Allemagne ou au Luxembourg.

On pourrait aussi citer des raisons historiques. Aujourd'hui, il y a encore beaucoup d'autoculpabilisation en Allemagne pour la Deuxième guerre mondiale. Dans tous les pays de l'UE, on répète souvent aux gens que "l'Europe" a apporté la paix (ce qui est une grossière déformation historique que peu de gens relèvent). Si vous suivez un peu les débats politiques, dans n'importe quel État membre, quand un politicien critique l'Union européenne, il y a de fortes chances que quelqu'un l'accuse d'être "antieuropéen", "nationaliste", "d'extrême-droite" et que le point Godwin soit vite atteint avec une allusion à la Deuxième guerre mondiale. L'Allemagne n'échappe pas à la règle, et c'est encore plus vrai avec leur phénomène d'autoculpabilisation qu'on voit partout n'importe où. Dans un contexte où le Royaume-Uni a voté pour le Brexit en 2016 et où les partis eurosceptiques sont très forts en Italie ainsi que dans les pays qui ont rejoint l'UE en 2004, l'UE apparaît plus divisée que jamais, que ça soit sur l'euro, la politique économique ou la crise des migrants. Pour certains allemands, voter aux européennes, ça peut être un moyen de soutenir l'UE. Pour d'autres, c'est l'occasion de protester contre les politiques européennes. Quoiqu'il en soit, l'intérêt pour ces élections semble plus fort en Allemagne que dans de nombreux pays de l'UE.


Image : Tagesschau.


Une position centrale

En plus d'avoir l'une des langues les plus parlées d'Europe et la plus grosse économie européenne, l'Allemagne est aussi un pays qui a une place centrale. Elle est voisine de la France, du Luxembourg, de la Belgique, des Pays-Bas, du Danemark, de la Pologne, de la République tchèque, de l'Autriche et de la Suisse.


Image : Pixabay.

De part sa position, l'Allemagne fait le lien entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe centrale, mais aussi avec l'Europe du Nord. Le pays est un passage incontournable pour une partie du fret routier européen. Le port de Hambourg est le troisième port le plus important d'Europe après ceux de Rotterdam et d'Anvers. L'Allemagne est aussi le cœur industriel de l'Europe, notamment dans la région du Rhin et de la Ruhr. Plus à l'Est, beaucoup d'industriels allemands travaillent avec des sous-traitants polonais et tchèques par exemple.

Bref, vous l'aurez compris, la position géographique de l'Allemagne est pour elle un atout économique et commercial, ce qui contribue en partie à sa prospérité et à son importance en Europe.


Conclusion

En Allemagne, l'image de l'UE est moins dégradée qu'ailleurs. Cela est notamment dû à la bonne santé économique du pays, à sa place centrale en Europe, mais également à des raisons historiques pour certains. De plus, le fait que l'Allemagne soit aussi importante fait comprendre à beaucoup d'électeurs allemands que leur pays a une position dominante dans l'Union. Cependant, cela ne suffit pas à expliquer totalement la différence d'intérêt pour les élections européennes entre la France et l'Allemagne. Le rôle des politiciens et médias français y est pour beaucoup. Les politiciens français ont trop parlé des politiques nationales et ont fait peu de propositions crédibles pour l'Europe, tandis que les médias hexagonaux ont trop peu parlé des partis européens, de leurs programmes et des Spitzenkandidaten pour le poste de la Commission européenne.

On pourrait se dire que les Français se disent que le Parlement européen a peu de pouvoirs et qu'il serait donc inutile d'aller voter car c'est la Commission qui élabore les textes législatives. Mais ça serait trop simple comme explication : énormément de Français ne savent pas quel est le rôle des différentes institutions européennes.

L'intérêt pour les européennes étant faible en France, il ne serait absolument pas étonnant de voir un record d'abstention. Selon plusieurs sondages, celle-ci pourrait s'élever à 60 %. En Allemagne, la tendance semble être l'inverse : le taux de participation pourrait atteindre 60 %, contre seulement 48 en 2014.


Sources

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Une très bonne analyse du ressenti des électeurs de ces deux pays à l'approche des scrutins européens ! Upvoté à 100% !

Superbe article “comme d’habitude”. Merci à toi.

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Un article très complet, bien meilleur que ceux émanent de la presse française généraliste.
C'est le premier article en français qui parle des candidats à la commission européenne.
Un grand merci pour cet article de qualité.

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