[FR] Élections européennes 2019 : méfiez-vous des programmes des candidats !
Les élections européennes 2019 approchent à grand pas, et l'intérêt du grand public est plus ou moins variable dans les différents États membres de l'Union européenne. Si on peut déjà prédire que le taux d'abstention sera (très) haut dans plusieurs pays, les motivations pour aller (ou ne pas aller) voter varient aussi selon les personnes.
Pour certains abstentionnistes, les élections européennes ne "servent à rien", pour d'autres, l'abstention est un choix par dépit ou de protestation. Mais pour d'autres électeurs, qu'ils soient pro ou anti-UE, c'est l'occasion de faire entendre les voix de leurs partis.
Lors de la campagne électorale et des débats télévisés, on a pu voir les candidats faire beaucoup de propositions plus ou moins liées à l'UE, mais aussi d'autres propositions se limitant à des problématiques nationales. Mais on a aussi vu passer beaucoup d'idées qui ne sont pas du ressort du Parlement européen ou qui ne sont tout simplement pas réalistes. Faisons l'état des lieux de la campagne.
Des enjeux nationaux dans un scrutin suprational
Ça ne vous a échappé, l'opposition à Emmanuel Macron se retrouve sans surprise dans les discours des différentes listes candidates aux élections européennes. Ce scrutin est en effet le premier (au niveau national) depuis les législatives de 2017, et sera donc le premier vrai test électoral pour le président de la République et sa majorité parlementaire depuis leur élection.
Ces derniers mois, l'opposition à Macron et à son gouvernement a notamment été incarnée par le mouvement des "Gilets jaunes", "Gilets jaunes" qui ont défilé dans les rues des principales villes du pays tous les samedis depuis le 17 novembre dernier. Sans surprise, l'importance de ce mouvement et son omniprésence médiatique ont suscité des convoitises et des tentatives de récupération politique dans différents partis. On a aussi vu que certains Gilets jaunes ont décidé de présenter des candidats : trois listes "Gilets jaunes" sont candidates.
Du côté des autres listes, notamment des partis bien connus dans le paysage médiatique, ces élections européennes sont surtout l'occasion de faire un référendum anti-Macron. Si le parti présidentiel arrivait en deuxième ou en troisième position, ça serait un camouflet pour le président et le gouvernement. Mais qu'on soit clairs : ça ne changera pas grand chose à la politique du gouvernement et de sa majorité. Peu importe que la liste LREM soit première, deuxième ou troisième : le 27 mai, la politique de Macron sera la même qu'avant le scrutin.
Ce qu'il faut rappeler aux électeurs, c'est que les élections européennes servent à élire les députés européens, donc des gens qui voteront sur des textes européens et non pas sur des lois françaises. De plus, il faut rappeler que la France dispose de 74 sièges sur 751, soit moins de 10 %. Les décisions prises par le Parlement européen et impactant la France seront donc davantage prises par les eurodéputés des autres pays que par les eurodéputés français. Il faut aussi rappeler que les groupes parlementaires regroupent des eurodéputés de 7 États membres, et que ces affiliations se font en fonction des affinités politiques. Un eurodéputé LR aura probablement plus de facilités à s'entendre avec un collègue issu de la CDU allemande qu'avec un élu issu de La France insoumise...
Certains d'entre vous ont peut-être envie de répondre que les lois européennes sont plus importantes que les lois françaises. C'est en grande partie vrai. D'après le droit européen (auquel doivent se conformer les États membres de l'UE), il y a un "principe de primauté" des textes européens sur les textes français. Si un acte législatif européen est adopté, si le droit national d'un État n'est pas en conformité, c'est le droit national qui doit s'adapter au droit européen. Cependant, ce constat n'empêche pas de constater que les têtes de listes françaises aux européennes ont tendance à dire n'importe quoi aux électeurs.
Des promesses irréalistes basées sur la méconnaissance du fonctionnement de l'Union
Le 4 avril dernier, France 2 accueillait un "débat" entre 12 têtes de listes. Lors de ce débat, on a pu entendre de nombreuses propositions irréalistes. C'était aussi le cas lors des autres débats, mais aussi dans les vidéos de campagne et les programmes. De très nombreuses listes (comme celles de LREM, des Républicains, des Verts ou des Insoumis) proposent de "changer" l'Europe. On a l'impression d'entendre un disque rayé. En 2019, le PS, LFI, les Verts et d'autres listes proposent par exemple "l'Europe sociale". C'est ce que proposaient déjà Mitterrand et le PS en 1979.
Beaucoup de listes proposent de "changer l'Europe" ou de "changer la politique européenne", mais parmi elles, beaucoup proposent aussi de "changer" ou de "renégocier" les traités européens. Toute proposition de ce type devrait vous alerter si vous savez un peu comment fonctionne l'UE.
En théorie, une révision des traités peut être proposée par le gouvernement d'un État membre, la Commission européenne ou le Parlement européen. Le projet est ensuite présenté au Conseil de l'Union européenne (plus communément appelé "conseil des ministres"). Le Conseil de l'UE soumet ensuite les propositions au Conseil européen, composé de chefs d'États ou de gouvernements des États membres. Les parlements nationaux sont également informés de la procédure.
Si le Conseil européen dit non au projet, tout s'arrête net. Si le Conseil européen adopte une décision favorable, une Convention est alors réunie. Cette Convention est composée de représentants des parlements nationaux et du parlement européen, des chefs d'États et de gouvernements ainsi que de la Commission. La Convention examine le projet de révision et adopte des propositions.
Après cela, le président du Conseil européen convoque une conférence des représentants des gouvernements. Une fois que les participants ont trouvé un accord sur les modifications à apporter aux traités, ils font une proposition aux États membres. Les modifications entrent en vigueur après ratification par l'ensemble des pays membres de l'UE.
Voilà pour la procédure ordinaire. Certains me diront peut-être qu'il existe une procédure de révision simplifiée. C'est vrai. Mais est-elle si simple que ça ? Voyons voir. Cette procédure concerne uniquement les politiques et actions internes de l'Union (agriculture, pêche, marché intérieur, frontières extérieures, politique économique et monétaire). Bon, certes, ça concerne plusieurs domaines du quotidien et des problématiques importantes pour les citoyens européens. Mais il est compliqué pour les Eurodéputés d'avoir la main dessus. Lorsqu'une procédure de révision simplifiée est lancée, le Conseil européen doit se prononcer à l'unanimité. Le refus d'un seul pays, que ce soit l'Allemagne (pays le plus peuplé de l'UE) ou un petit pays comme le Luxembourg ou Malte, peut suffire pour faire obstruction. Après cela, comme pour la procédure ordinaire, la révision des traités doit être ratifiée par tous les États membres. On parle de procédure simplifiée car elle évite de devoir convoquer une Convention européenne et une Conférence intergouvernementale.
L'examen des procédures de révision nous montre donc que changer les traités n'est pas aussi simple que le prétendent les candidats. Il est plus facile de changer une loi française ou même la Constitution que de changer une seule ligne dans un traité européen. L'aboutissement de la procédure dépend bien plus du Conseil européen (c'est-à-dire des chefs d'États et de gouvernements) que des eurodéputés. Et surtout, il faut bien prendre en compte le fait que si une proposition va clairement contre les intérêts nationaux d'un État, celui-ci risque de se prononcer contre.
Les candidats qui proposent de changer les traités font donc des propositions qui sont pour la plupart irréalistes. Quand ces candidats font comme s'il était facile de changer les traités et vous promettent de changer telle chose, ils vous prennent pour des cons. Et quand ils ne vous prennent pas pour des cons, c'est soit qu'ils sont assez naïfs pour croire que leurs idées peuvent être acceptées tous les autres États membres, soit qu'ils ne savent pas eux-mêmes comment fonctionne la procédure de révision des traités. Dans un cas, les candidats prennent les gens pour des cons, dans les autres, c'est de l'incompétence et de l'ignorance de leur part. De façon générale, ces propositions irréalistes sont basées sur la méconnaissance ou l'ignorance du fonctionnement des institutions. Maintenant, vous savez comment ça fonctionne.
Quelques exemples de propositions irréalistes
L'écologie et la transition énergétique : les candidats brassent du vent
Selon plusieurs listes candidates, les mesures liées à l'écologie et à la transition énergétique doivent se faire en priorité au niveau européen pour être plus efficaces. Plusieurs partis proposent des mesures coûteuses dans ce sens.
- Benoît Hamon et Génération.s proposent d'investir 500 milliards par an pour "créer un nouveau modèle de développement respectueux de l'environnement".
- Le parti EELV propose un "Green New Deal" de 600 milliards d'euros sur deux ans.
- La liste "Renaissance" menée par La République en Marche (LREM) veut au minimum 1 000 milliards d'euros pour la transition énergétique.
Sauf que ces propositions ne tiennent pas compte de la réalité. Le budget de l'UE pour 2019 est de 165,8 milliards d'euros pour ce qui est des crédits d'engagement, mais seulement de 148,2 milliards d'euros pour ce qui est crédits de paiement (c'est-à-dire ce que l'UE s'attend vraiment à payer au cours de l'année). Les chiffres proposés par Génération.s, EELV et LREM sont donc largement supérieurs au budget européen ! Pour que l'UE puisse dépenser entre 500 et 1 000 milliards d'euros dans la transition énergétique, il faudrait donc augmenter considérablement ce budget, ce qui augmenterait considérablement la contribution des États membres, ce qui est irréaliste. À titre d'exemple, la contribution de la France devrait s'élever à 23,2 milliards d'euros cette année. Pour rappel, la France est un "contributeur net" de l'UE, c'est-à-dire qu'elle donne plus qu'elle ne reçoit. Seuls 8 États membres (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Pays-Bas, Autriche, Suède et Danemark) sont dans cette situation. S'il fallait augmenter fortement le budget européen, l'effort reposerait en grande partie sur ces pays. Mais il faut aussi rappeler que quelques centaines de milliards, ça reste énorme pour eux aussi. Pour ce qui est de la France, le budget de l'État prévoit 390,8 milliards de dépenses nettes en 2019, pour des recettes nettes de 291,4 milliards d'euros. Les partis Génération.s, EELV et LREM proposent donc de dépenser dans la transition énergétique des sommes qui sont supérieures au budget de l'État et au budget de l'Union ! À moins de faire exploser la dette ou de demander à la Banque centrale européenne de faire tourner la planche à billets à plein régime, il est donc impossible de financer de telles propositions. À défaut de brasser de la thune, certains candidats brassent du vent.
Des mesures sociétales polémiques
Comme à chaque élection, on voit des candidats qui laissent beaucoup de places aux thèmes sociétaux dans leur programme, et ce détriment de l'économie et de l'emploi. Et les candidats comme ça, on les trouve notamment à gauche. Lors du débat à 12 du 4 avril sur France 2, Benoît Hamon du parti Génération.s a proposé d'inscrire le droit à l'IVG dans les traités européens. Comme on l'a vu précédemment, modifier les traités est très compliqué. Même avec la procédure de révision simplifiée, il faut l'unanimité des États membres au conseil européen. Or, tous les États membres ne veulent pas que l'avortement soit aussi accessible que dans un pays comme la France. La Pologne est par exemple très conservatrice sur le sujet. L'avortement n'est autorisé que dans certains cas (grossesse suite à un viol, ou risque pour la mère). Idem pour Chypre. Pour ce qui est de Malte, l'IVG est purement et simplement interdit.
En pratique, ces pays sont donc tout à fait en capacité d'exercer leur veto sur une proposition comme celle de Hamon. Mais ils n'auront probablement pas à le faire. Vu la faiblesse de son parti, Hamon ne peut espérer que quelques sièges au mieux. Et de toute façon, les autres partis ont d'autres priorités européennes, par exemple la gestion de l'immigration, la question de l'avenir de l'euro, le marché intérieur, etc.
Des mesures sociales et fiscales européennes
Les listes de gauche et d'extrême-gauche proposent plusieurs mesures d'harmonisation sociale au niveau européen. Cependant, leur mise en œuvre serait très difficile. On voit par exemple beaucoup parler de SMIC européen alors qu'il y a des différences de salaires très importantes d'un pays à l'autre, notamment entre l'Est et l'Ouest. Augmenter fortement les salaires des pays de l'Est de l'Union les rendrait beaucoup moins compétitifs. Or, c'est justement le fait d'avoir une main-d'œuvre moins coûteuse qui leur a permis d'attirer des emplois, parfois dans le cadre de délocalisations intra-européennes. Qui peut croire que des pays comme la Pologne, la Tchéquie ou la Roumanie accepteraient d'augmenter fortement leur SMIC si cela conduisait à moins d'investissements étrangers, davantage de chômage et un coût de la vie plus élevé ? Et qui peut croire que les pays qui penchent politiquement plus à droite qu'à gauche seraient d'accord pour augmenter leurs dépenses sociales pour faire comme la France ou la Belgique ? Qui peut croire que de petits pays comme le Luxembourg, Malte et l'Irlande vont accepter une harmonisation fiscale vers le haut alors que leur fiscalité avantageuse leur a permis d'attirer de nombreuses activités financières et de nombreux sièges sociaux ? Électeurs de gauche, soyez réalistes, les autres pays européens n'ont aucune envie de se tirer une balle dans le pied en plombant leur compétitivité et leur attractivité !
Des propositions spécifiques à la France
Pour les européennes, beaucoup de listes proposent des mesures irréalistes et/ou inapplicables au niveau européen, mais plusieurs listes semblent carrément se tromper de scrutin. Dans beaucoup de programmes, on peut voir des propositions très spécifiques à la France. Plusieurs listes font campagne davantage sur l'opposition à la politique d'Emmanuel Macron qu'à la politique de la Commission européenne. Dans ses tracts de campagne, la liste de La France insoumise (LFI) critique la suppression de l'ISF et la hausse de la CSG et parle de mettre un "coup d'arrêt" à l a politique du président. La liste des Patriotes et autres listes évoquent aussi la fiscalité française alors qu'il s'agit d'un scrutin européen. Sur la défense aussi, on voit des avis très tranchés. Des listes européistes défendent l'idée d'une armée européenne, tandis que d'autres listes (UPR, LFI, Les Patriotes et la Dissidence) proposent que la France sorte de l'OTAN. Le Président de la République et le gouvernement sont totalement en position de décider d'une sortie de la France de l'alliance atlantique. Ce n'est pas un sujet qui est du ressort des eurodéputés. Pour ce qui est de l'immigration, c'est un sujet qui revient dans beaucoup de programmes. Certains candidats proposent de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l'UE et réduire les quotas de migrants, tandis que d'autres proposent une facilitation de l'immigration. Cependant, sur certaines listes anti-immigration, on voit parler de sujets comme la suppression du droit du sol en France ou l'expulsion des clandestins et étrangers. Ce ne sont pas des compétences de l'UE, mais des compétences nationales.
Bref, faut-il aller voter aux européennes ?
Bref, quand on regarde les professions de foi de la plupart des listes, ça ressemble plutôt à des professions de mauvaise foi. Trop de listes proposent des mesures qui n'ont rien à voir avec les élections européennes ou des mesures irréalistes et inapplicables au niveau de l'UE.
Il faut rappeler que beaucoup de compétences relèvent davantage des États ou d'institutions européennes comme la Commission et les Conseils que du Parlement européen. Dans les faits, le Parlement européen n'a que peu de pouvoir. En effet, contrairement au parlement français ou au parlement allemand, le Parlement européen ne dispose pas d'initiative législative, il ne peut pas proposer directement des lois comme peuvent le faire les membres de l'Assemblée nationale et du Sénat en France ou les membres du Bundestag et du Bundesrat en Allemagne. Dans les faits, c'est surtout la Commission européenne qui fait l'élaboration des textes juridiques. Cependant, comme les actes juridiques européens priment sur le droit national, le rôle des eurodéputés reste important : ils votent sur les textes présentés par la Commission et peuvent proposer des amendements. C'est aussi le Parlement qui doit valider le candidat proposé par le Conseil européen pour le poste de président de la Commission. Avant de proposer un candidat, le Conseil est censé prendre en compte les résultats des élections européennes. Si le Parti populaire européen (droite européenne) arrive en tête, le candidat proposé ne sera à priori pas le même que si c'est le Parti socialiste européen ou les Conservateurs réformistes...
Bref, faut-il aller voter aux européennes même si le Parlement a peu de pouvoir ? Je dirais que oui, tout simplement parce que les textes sur lesquels les eurodéputés se prononcent sont souvent plus importants que ceux votés par les parlements nationaux. Cependant, avant le scrutin, il faut avoir une vision critique vis-à-vis des programmes, et il faut bien tenir compte des réalités institutionnelles et des rapports de force.
Comptez-vous aller voter aux élections européennes ? Dites-le-moi dans les commentaires.
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Sources et documentation
- Les révisions des traités de l’UE, EUR-Lex.
- Budget de l'UE pour 2019.
- Article sur l'approbation du budget 2019 de l'UE par le Conseil de l'UE
- Quels chiffres faut-il prendre comme base – les engagements ou les paiements?
- Élections européennes du 26 mai 2019 : profession de foi des listes candidates. Source : Ministère de l'Intérieur français.
- Projet de loi de finances pour 2019 : Affaires européennes, site du Sénat français.
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Bravo pour ce superbe et instructif post à la tournure irréprochable
Pfiooooooooooouu merci pour l'article.
Mais ça ne me dit pas pour qui voter :) Et rien ne m'emballe vraiment :(
Ça te dit déjà pour qui ne pas voter (après avoir regardé les programmes des 34 listes). :)
Si on devait s’arrêter à ce genre "détail". J'ai une tendance libérale de gauche, pro science et j'avoue être un peu seul dans le paysage politique Français.
Bienvenue dans le club des gens qui n'ont aucun parti qui leur convienne ! :)
Superbe! Moi qui n'aime pas du tout la politique, j'ai quand même trouvé ton article fort instructif et intéressant. Sans y connaître grand chose, j'avais déjà cette impression d'un gros bordel de confusion entre "union européenne" et "politique française"... tu viens de me confirmer que je n'étais pas complètement à côté de mes pompes! Merci!
Quand à savoir si j'irai voter, la réponse est simple : je n'ai pas le droit de vote (puisque québécoise...) ! ;)
Bon courage à ceux qui iront!