Review musical : Neurosis - Times Of Grace (1999 / Post-Métal / Sludge)

Quel difficile exercice de faire une chronique sur cet album, tant mes connaissances sur le Métal et son univers étendu est assez limité. N'étant pourtant pas hermétique à ce genre et ayant écouté de par le passé des productions orientés dans ce type musique mais toujours avec un pied dans le rock indé (Quiksand, Helmet, Kylesa, Melvins et bien d'autres...), je m'étais cantonné à de grands classiques que sont Black Sabbath ou Motorhead. Pourtant, c'est sous l'impulsion et les recommandations de Elaine, experte dans le domaine et qui se cache sous le pseudo de @philodendron, que je me suis lancé dans l'expérimentation et l'écoute de cet oeuvre. Que dire si ce n'est que j'e n'en suis pas ressorti indemne et que sous son appellation générique d'album métal, se cache une pépite musical résolument sensoriel.

Une carrière en constante évolution

J'avais déjà eu vent de l'existence de Neurosis durant ma tendre jeunesse puis qu’avant d'exercer leur art dans le registre métallique, ceux ci ont contribué à délivrer quelques lp orientés Punk-Hardcore/Crossover. Petits protégés de Jello Biaffra qui voyait en eux un fort potentiel, le groupe fut le fer de lance du label Alternative Tentacles durant la première partie des années 90. Glissant progressivement vers un son plus dur et lourd, s'écartant ainsi de leurs premières productions, Neurosis a pris le parti de trouver un épanouissement artistique en tentant de franchir les limites rythmiques et sonores du métal afin de lui insuffler une ambiance atmosphérique pesante. Bien évidemment, le Sludge ( sous branche du métal dont le principe et de réduire au maximum la rythmique et de s'inspirer du doom-métal ainsi que du hardcore pour sa sonorité) n'a rien inventé en terme de créativité.

Toutefois, Neurosis possède une patte unique, permettant ainsi de générer une ambiance mélodique propre et reconnaissable distinctement à l'écoute. En somme, ces artistes ont réussi le paris de s'approprier un genre et de lui insuffler une couche d'expérimentation par l'ajout d'une ambiance caractérisé. Bien sur, ce son distinctif provient d'un ensemble d'inspirations que chaque membres a ajouté en élargissant le champ des possibilités acoustiques, notamment grâce à l'utilisation de samplers, synthés et autres effets électroniques associés aux guitares. Tous ces paramètres donnent une notion de progression et d'évolution dans leurs diverses compositions. On aimerait désigné cela comme du Métal-prog mais certains en ont décidé autrement et ont ajouté l'appellation Post-métal pour décrire cette débauche d'inventivité.

Album conceptuel produit par Steve Albini !

Vous l'aurez compris, Neurosis est un genre à lui seul. Après ce descriptif quelque peu succinct et pas très exhaustif de ce groupe, nous allons enfin pouvoir rentre dans le vif du sujet et nous atteler à la critique de cet album, parut en Mai 1999. Néanmoins, je me dois de faire une légère aparté avant de vous décrire mon ressenti. Car un album comme celui-ci n'est pas une production des plus classique. Pensé comme une oeuvre conceptuel, à l'image de la carrière de cette formation, Times Of Grace est le fruit d'un travail acharné dans la recherche de franchir les limites d'un penchant musical qui a pourtant déjà tout délivré. Afin de marquer ce cap, le quintuor se tourne vers un homme providentiel qui a su marqué de son empreinte l’industrie phonographique. Cet homme, c'est le grand, l'illustre, l'exceptionnel Steve Albini.

S'entourant ainsi de cette légende et de son savoir faire singulier, Neurosis s'offre la conception d'une oeuvre intemporel et probablement unique de par son mixage exemplaire qui puisse sa source dans des méthodes d'enregistrement non-conventionnel, sublimé par un travail analogique hors-pair. A l'écoute, vous serez impressionné par la qualité acoustique qui fourmille d'une multitude de détails, d'harmonie, de ce rendu puissant et énergique dont seul Albini à le secret ! A mon sens, Times Of Grace est sans doute l'un des projets les plus élaborés par ce grand homme. Aux chiottes ProTools et autres automatismes dénaturant l'essence acoustique. On travail la à l'oreille, avec de vrais passionnés chevronnés, amoureux de la bonne vieille bande et de la prise de son en temps réel. Clairement, cela se ressent à l'écoute et il ne sera pas rare de ressentir chaque notes de manière organique, tant tout est clair et limpide.

Comme je le disais un peu plus haut, cet album est conceptuel, non seulement par la qualité de ses compositions et de son mixage mais aussi parce qu’il ne se suffit pas à lui même. Times Of Grace est un voyage initiatique au plus profond de son être. Pour accentuer ce périple, les membres de Neurosis ont mis les bouchés double afin de sublimer l'expérience, par la création d'un lp complémentaire baptisé Tribes Of Neurot / Grace. L'idée est d'ajouter des éléments supplémentaires se combinant avec la lecture de l'album originel et de lui apporter des modifications sensitifs. Pour ce faire, il faut que l'auditeur superpose Grace par dessus Times Of Grace avec une seconde source sonore et redécouvrir ainsi un moment de noirceur amplifié par l'aspect ambient de cet ajout.

Voyage au bord de la folie !

Car noirceur et oppression sont les maîtres-mots de ce disque. Une plongée introspective au plus profond des maux de sa psyché. Car ce que Times Of Grace provoquera à son écoute, sera un état de trance lente et abyssal. L'ajout de sons électroniques ou de cuivres accentuera cette immersion, nous serons propulsé par les impacts de batteries percutantes qui résonneront au sein même de votre esprit, tels des coups de fouets sur sa peau. Ici, pas de virtuosités dans les parties cordes, cependant celle ci résidera dans la structure phonique qui s'harmonise parfaitement, donnant un coté malaisant, étouffant. Il est difficile de respirer tant le tumulte des guitares vous ballote, tandis que les orgues figurant sur le titre The Last You'll Know, vous donneront l'impression d’être enterré vivant, croulant sous le poids de la culpabilité, de l'obscurité de votre être profondément enfoui. Puis vient la mélancolie, la détestation, le dégoût. La voix de Steve Von Till, tantôt calme et tantôt puissante, vous poussera à extérioriser vos émotions, à crier ce que vous ressentez.

De ce périple viendra l'absolution, car Times Of Grace, comme le nom l'indique, vous poussera dans vos retranchements, jusqu'à retrouver une paix intérieur, magnifié par le titre éponyme. Riffs apocalyptiques et chœurs mortifères qui ne vous laisseront aucun échappatoire, si ce n'est de trouver la porte de sortie avec le dernier morceau de la liste. Vous voici libéré d'un poids bien trop lourd à porter et que vous avez enduré durant près de une heure. Une expérience musical intense et immersif. Prendre des drogues à l'écoute de ce disque peut être un danger potentiel pour sa propre santé mentale, quoi qu'il en soit il ne pourra qu'amplifier ce séjour dans l'ombre de votre propre personnalité. Toutefois, nous ne pouvons que saluer la performance artistique d'une telle oeuvre qui régalera tous les mélomanes en herbes, tant chaque titres sont des petits plaisirs auditifs, dans ce registre si particulier. Un chef d'oeuvre du genre qui vous mettra à rude épreuve vos sens, si vous n'y êtes pas préparé !